« Sept Hivers à Téhéran » : des femmes héroïques

Steffi Niederzoll retrace l’histoire de Reyhaneh Jabbari, condamnée à mort et exécutée malgré le combat acharné de sa famille pour la sauver.

Christophe Kantcheff  • 28 mars 2023 abonné·es
« Sept Hivers à Téhéran » : des femmes héroïques
Reyhaneh Jabbari lors de son procès, instruit uniquement à charge.
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Sept Hivers à Téhéran / Steffi Niederzoll / 1 h 37.

À Téhéran, une jeune femme de 19 ans, Reyhaneh ­Jabbari, aux prises avec un homme lui ayant tendu un piège pour la violer, se défend et le tue. Impliquée à ses dépens dans une affaire politique – l’homme en question était lié au régime des mollahs –, elle est condamnée à mort.

Après sept ans d’emprisonnement, malgré le combat mené par sa famille et une campagne internationale dénonçant cette sentence, elle est exécutée le 25 octobre 2014. Telle est l’histoire tragique de Reyhaneh Jabbari, dont on se souvient peut-être encore, parce que les médias, à l’époque, s’en sont fait l’écho.

Mais ce résumé, aussi terrible soit-il, ne donne aucune idée de la conflagration intime que son arrestation puis sa condamnation ont provoquée chez la jeune femme, et du choc, du désarroi et de l’énergie du désespoir que cela a déclenché chez ses proches : sa mère, Shole Pakravan, son père, Fereydoon Jabbari, et ses deux sœurs, Sharare et Shahrzad.

C’est exactement ce que montre Sept Hivers à Téhéran, un documentaire de Steffi Niederzoll, avec laquelle la famille de Reyhaneh a étroitement collaboré. Or celle-ci disposait de documents rares, non parce qu’ils seraient spectaculaires, mais parce qu’ils sont le fruit d’une énorme prise de risque.

Puissant effet de présence

C’est le cas des vidéos enregistrées, le plus souvent par Shahrzad, à l’intérieur ou à proximité de la prison (filmer un établissement public est interdit) où était détenue sa sœur, quand sa famille venait lui rendre visite. Ces images sont parfois floues, décadrées, mais elles produisent un puissant effet de présence.

Nous sommes avec elle, qui partage ses réflexions, ses craintes, sa détermination.

De même, on entend la voix de Reyhaneh lorsqu’elle était en prison, car elle téléphonait alors à sa mère – qui l’enregistrait – pour dire son quotidien, ses pensées, lisant des textes aux allures de journal intime qu’elle avait préalablement écrits. Ceux qu’elle n’a pu transmettre au téléphone, c’est une comédienne qui les dit en off, Zar Amir Ebrahimi (lauréate du prix d’interprétation féminine à Cannes l’an dernier pour son rôle dans Les Nuits de Mashhad, qui met en scène des meurtres de femmes en série).

Une actrice particulièrement concernée par la violence à laquelle les Iraniennes sont confrontées puisqu’elle a fui son pays afin d’échapper à la prison et aux cent coups de fouet qui lui étaient promis pour une affaire de sextape. Grâce à ces vidéos et à ces textes, qui structurent le récit, outre les entretiens avec les membres de la famille et d’anciennes codétenues aujourd’hui libérées, le film adopte le point de vue de la jeune femme condamnée ou, à tout le moins, en rend compte de façon fidèle et synchrone.

Son calvaire n’est pas seulement raconté de façon chronologique par ses proches a posteriori, la cinéaste usant de maquettes pour reconstituer le lieu du tribunal et celui de la prison. Nous sommes aussi avec elle, qui partage ses réflexions, ses craintes, sa détermination. Et c’est impressionnant.

Impressionnant parce que Reyhaneh, élevée de manière libérale par un père et une mère conscients de la difficulté pour les femmes de se frayer un libre chemin dans la société iranienne, n’était en rien préparée à ce qu’elle allait subir : les privations, la torture, les sévices psychiques. Elle connaît l’effroi quand on lui dit, pour l’anéantir, que ses parents l’ont reniée et souhaitent sa mort alors qu’elle n’a pas encore eu de contact avec eux.

Farouchement humain

Mais petit à petit, dans cet univers pénitencier qui annihile toute véritable existence, elle se tourne vers les autres, prend sous sa protection les nouvelles détenues apeurées. Quand elle saura que l’exécution de la sentence approche, elle dira même pardonner au policier et au magistrat qui ont enquêté et instruit uniquement à charge, et à la famille de sa victime, qui a le pouvoir de la gracier mais ne s’y résout pas. Le chemin de Reyhaneh est à la fois tragique et héroïque, toujours farouchement humain.

L’action de sa famille n’est pas moins admirable. Shole Pakravan, sa mère courage, s’est transformée en militante acharnée pour sauver sa fille. Elle s’est exposée, y compris médiatiquement, dans la presse étrangère, au mépris des représailles possibles. On la voit déchirée entre l’exigence de la raison – elle a sans cesse argumenté auprès du fils de la victime de Reyhaneh pour qu’il épargne celle-ci – et la panique de l’impuissance et de la perte.

La portée politique, sociale et féministe du film est décuplée par l’intense émotion qui en émane.

Alors que son mari ne peut pas sortir de son pays, elle est aujourd’hui réfugiée en Allemagne, où elle continue la lutte en faveur des droits humains et contre la peine de mort. Elle y a été rejointe par ses deux filles, dont l’une a cette phrase terrible : « Je pense que la légitime défense en Iran ne vaut rien. Alors j’aurais laissé le violeur faire. »

On ne peut voir Sept Hivers à Téhéran sans songer à l’ample mouvement de révolte, les Iraniennes en tête, qui a récemment défié le régime. Sa portée politique, sociale et féministe est décuplée par l’intense émotion qui en émane. Une émotion qui n’est jamais manipulée, exploitée par la cinéaste – d’autres s’y seraient livrés sans conscience. C’est aussi à cela qu’on reconnaît une œuvre digne

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Cinéma
Temps de lecture : 5 minutes