« Dirty, Difficult, Dangerous » : beaux chiens galeux

Wissam Charaf met en scène un couple d’immigrés amoureux au Liban.

Christophe Kantcheff  • 25 avril 2023 abonné·es
« Dirty, Difficult, Dangerous » : beaux chiens galeux
Clara Couturet et Ziad Jallad incarnent des personnages indésirables.
© JHR Films Distribution.

Dirty, Difficult, Dangerous / Wissam Charaf / 1 h 23.

Mehdia est éthiopienne et travaille comme domestique. Ahmed est un réfugié syrien. Ils sont à Beyrouth, où ils se sont rencontrés et sont tombés amoureux. Dirty, Difficult, Dangerous (« Sale, difficile, dangereux »), malgré son titre, serait-il un conte social ?

La situation de ces deux étrangers au Liban n’est cependant pas édulcorée – même si le film se déroule avant l’explosion du port de Beyrouth d’août 2020, déclenchant la profonde crise dont le pays est toujours frappé et qui a aggravé le sort des immigrés. Dans la famille où elle est employée et doit s’occuper d’un homme sénile régulièrement pris de délire, Mehdia est traitée comme une esclave. Ahmed connaît la misère, mendiant dans les rues du fer et du cuivre pour les revendre au recyclage.

Les Syriens sont en outre soumis à un couvre-feu qu’ils peuvent payer cher s’ils ne le respectent pas. Dans ces conditions, l’amour entre Mehdia et Ahmed est impossible, autrement dit sale, difficile et dangereux. Pas vraiment en tant que « Roméo et Juliette », plus sûrement parce qu’ils sont des chiens galeux. Galeux mais magnifiques. Wissam Charaf a en effet choisi deux très beaux comédiens, qui sont aussi excellents, Clara Couturet et Ziad Jallad, pour incarner ces personnages indésirables. Une manière pour le cinéaste de décaler le regard.

De la même façon, au mitan du film, Mehdia et Ahmed connaissent une parenthèse enchantée, la première ayant remporté un concours improbable : ils passent deux jours dans un hôtel de luxe. Avant de tenter de trouver refuge dans un camp de réfugiés syriens, où vit la mère d’Ahmed dans un état d’ataraxie depuis que son mari a été tué dans son pays.

Sur ce point encore, Wissam Charaf ne joue pas l’embellissement : les deux amoureux sont rejetés de partout, y compris de leurs propres milieux – les réfugiés syriens comme la communauté des travailleuses immigrées éthiopiennes –, le manque d’hospitalité s’expliquant par la peur et la précarité.

C’est en suivant ce chemin de crête entre le conte et le tableau social que Dirty, Difficult, Dangerous convainc absolument. Autre élément fantastique a priori : le corps d’Ahmed se métamorphose progressivement en métal, comme si celui-ci recrachait les éclats d’une bombe. Or le cinéaste, né au Liban en 1973, explique dans le dossier de presse que son corps contient encore des morceaux de la bombe qui a explosé à côté de lui quand il avait 9 ans. De l’autobiographique transformé en belle invention cinématographique, voilà tout un symbole de la réussite de ce film singulier.

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Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes