Soudan : la haine de la démocratie

La guerre entre deux généraux dans ce pays d’Afrique nous semble lointaine et indéchiffrable. Et pourtant, c’est une banale histoire d’or, de pétrole et de sainte horreur de la démocratie.

Denis Sieffert  • 26 avril 2023
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Soudan : la haine de la démocratie
Un partisan de l'armée soudanaise se joint aux manifestants contre l'influence des Émirats arabes unis dans la politique intérieure soudanaise, à Port-Soudan le 20 avril 2023.
© AFP.

Reconnaissons-le, cette guerre du Soudan nous paraît lointaine, et indéchiffrable. Il y est question d’un affrontement fratricide entre deux généraux assoiffés de pouvoir et de sang, et qui tirent sur tout ce qui bouge dans les rues de Khartoum. Et nous n’avons plus rien d’autre à faire qu’exfiltrer nos ressortissants, pris au piège d’une guerre qui n’est même pas « civile », puisque la population n’y a aucune part.

Nous voyons donc des images d’avions gros porteurs embarquant des Occidentaux en panique. Ce n’est ni Kaboul ni Saïgon, mais ça y ressemble. Si nous nous sentons si peu concernés, c’est que ce vaste pays de l’Est africain, aux sources du Nil, n’a jamais appartenu à notre « pré carré » colonial. C’est de l’empire britannique qu’il s’est émancipé en 1956.

Il s’en est fallu de peu, pourtant, que le Soudan ne tombe dans l’escarcelle française, à l’époque du grand partage. Nos diplomates gardent amèrement en mémoire le nom de Fachoda, village aujourd’hui situé au Soudan du Sud où, en 1898, une mission en pleine opération de conquête dut rendre les armes à l’ennemi britannique.

Malgré cela, le nom du Soudan n’a jamais cessé de sonner à nos oreilles en raison de calamités climatiques et de massacres pires que les dix plaies d’Égypte de l’Ancien Testament. On y voit plus souvent Médecins sans frontières que nos ministres des Affaires étrangères.

Les dictatures s’y sont succédé jusqu’à Omar El-Béchir, qui fit régner la terreur de 1989 à 2019. Et lorsqu’on parle du Darfour, grande région de l’ouest soudanais, ou du Soudan du Sud, c’est que ces populations sont en proie à des famines provoquées par la sécheresse et les « nettoyages ethniques ».

Le Soudan, comme le Congo voisin, est un de ces pays dont la richesse fait le malheur.

En 2004, l’ONU a chiffré à 300 000 le nombre de morts au Darfour, et à trois millions le nombre de déplacés. En 2016, les Soudanais ont été parmi les plus nombreux à demander refuge chez nous. C’est un grand paradoxe. Car le Soudan, comme le Congo voisin, est un de ces pays dont la richesse fait le malheur. Le Soudan du Sud, indépendant depuis 2011, recèle d’importantes réserves pétrolières. À l’est, le sous-sol abonde en or. Assez pour que le pays excite les convoitises.

Sans parler de sa position stratégique en bordure de la mer Rouge, dans le prolongement du canal de Suez, et de l’achat par des entreprises chinoises de terres agricoles dont les paysans locaux sont expulsés. Autant de dividendes qui vont dans les poches des militaires.

Ce qui explique que les deux généraux qui se livrent aujourd’hui une bataille acharnée pour le contrôle du pays soient soutenus par des puissances étrangères qui espèrent y trouver leur compte après le massacre. L’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite plutôt derrière le général Al-Burhane, à la tête de l’armée officielle. La Russie et l’inévitable milice Wagner derrière le général rebelle Dogolo, dit « Hemeti », aux méthodes particulièrement sanguinaires. La Chine, un peu des deux côtés, en attendant de voir…

Mais tous ces protagonistes, plus ou moins cachés, ont en commun une sainte horreur de la démocratie. Ils partagent cette idée que le pays est trop riche, et son intérêt trop stratégique, pour être laissé à son peuple. On soutiendra donc le nouveau dictateur. Et que le meilleur gagne !

Au passage, la France n’a pas à faire la leçon. Au Tchad voisin, elle a toujours soutenu le dictateur local, d’Hissène Habré à Idriss Déby, puis à son fils Mahamat Idriss, intronisé par Macron en 2021. La malédiction ne vient jamais du ciel. On enrage quand on se souvient qu’il y a seulement quatre ans, les Soudanais ont fait leur révolution.

Toutes ethnies et religions confondues, ils sont descendus par centaines de milliers dans la rue, et ont fini par chasser Omar El-Béchir. Dans le sillage de révolutions arabes écrasées, ils ont eu droit à nos illusions. Une Alliance pour la liberté et le changement avait négocié avec les militaires du général Al-Burhane une transition démocratique. Mais, en juin 2019, revirement de la junte. Une féroce répression s’abat sur les manifestants. Un scénario à l’égyptienne, en quelque sorte.

À l’époque, les miliciens du général Mohamed Hamdan Dogolo avaient volé au secours de Burhane. Unis contre le peuple, puis cohabitant dans un même gouvernement, les voilà aujourd’hui s’entretuant, chacun porteur d’intérêts étrangers. Non, la guerre du Soudan n’est pas indéchiffrable. C’est une histoire d’or et de pétrole, d’une banalité affligeante. Et de haine de la démocratie.

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