« 99 Moons » : l’amour nu

Jan Gassmann filme la passion sans concession ni romantisme.

Christophe Kantcheff  • 9 mai 2023 abonné·es
« 99 Moons » : l’amour nu
Un film impeccable, avec deux acteurs magnifiques, Valentina Di Pace et Dominik Fellmann.
© Zodiac Pictures / Yunus Roy Imer.

99 Moons / Jan Gassmann / 1 h 50.

L’action se passe en Suisse alémanique. Bigna et Frank se retrouvent dans un parking pour un plan cul aussi bref que brutal. Bigna « gère » sa sexualité de cette manière. Frank lui confie que c’est pour lui une première fois.

Exposition parfaite : tout, ou presque, est déjà posé dans cette première séquence de 99 Moons (99 Lunes), cinquième long-métrage du Suisse Jan Gassmann, programmé à Cannes l’an dernier par l’Acid. Bigna veut se tenir dans un rapport froid, clinique, avec les hommes. Frank cherche à établir une autre relation, plus « humaine », plus sensible, ne serait-ce que par la conversation. Bigna est scientifique de profession, une rationaliste éclairée, habituée aux abstractions. Frank est serveur dans un club filmé comme s’il se situait dans les entrailles de la terre, où la musique s’écoute à fond mais chacun sous son casque, un lieu de plaisirs et de drogues, organique et nocturne.

Sauvagerie douce

99 moons affiche

Or, voici l’imprévu : Frank tombe fou amoureux, tandis que, de son côté, Bigna s’en défend : « Tu confonds le sexe et l’amour », lui lance-t-elle. Cela prend un peu de temps, mais, traversée par une force plus puissante que sa volonté, elle doit aussi se l’avouer : elle ne peut plus se passer de lui.

Jan Gassmann filme la passion amoureuse, les corps qui se donnent, où qu’ils soient, dans une forme de sauvagerie douce. La passion tonne, déflagration dans l’instantané – comme les tremblements de terre qui secouent la Suisse à deux reprises. Mais qu’en est-il quand s’instaurent la durée, le quotidien, la vie matérielle ?

Le cinéaste raconte cette histoire sans l’ombre d’une démagogie ou d’une tentation consensuelle.

Le cinéaste raconte cette histoire sans l’ombre d’une démagogie ou d’une tentation consensuelle. Ses protagonistes se cognent aux limites de leur absolu, mais ne transigent pas. Ils sont inséparables, se quittent, les lunes passent, ils se retrouvent, toujours affamés l’un de l’autre. Bigna et Frank sont sans défense, exposés, face à leurs désirs comme face à la vie qui doit se construire. Le film est incroyablement beau de toute cette nudité fragile.

Contrairement à Frank, qui s’est engagé dans une existence apaisée, Bigna ne cède à aucun conformisme tout en souffrant de ce à quoi elle ne peut se résoudre : une situation affective établie, un enfant… Cette intégrité-là, qui constitue la dimension féministe de ce film impeccable, servie par deux acteurs magnifiques, Valentina Di Pace et Dominik Fellmann, est rare au cinéma.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes