Aurons-nous encore trois classes à la rentrée ?

Nicolas Smilevitch, maire de Brinon-sur-Beuvron, dénonce les aberrations administratives en matière d’école publique et la vision faussée de la ruralité chez les élus.

• 17 mai 2023
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Aurons-nous encore trois classes à la rentrée ?
Mobilisation à Paris, dans le 18e, contre les fermetures de classes à la rentrée prochaine.
© Guillaume Deleurence.

Partout en France, des villages se mobilisent contre les fermetures de classes, dues à la suppression d’un millier de postes dans le primaire à la rentrée 2023. C’est le cas des habitants de Brinon-sur-Beuvron, dans la Nièvre. Nicolas Smilevitch, qui en est le maire depuis 2020, dénonce les aberrations administratives et la vision faussée de la ruralité chez les élus.


Quand le mois de juin approche, on ne peut s’empêcher de penser à la fin de l’année scolaire et de se poser la question cruciale : « Aurons-nous encore nos trois classes à la rentrée de septembre ? » Pour un village de moins de deux cents habitants comme Brinon-sur-Beuvron, cela peut tout changer. Aujourd’hui, nous avons trois classes, dans lesquelles évoluent 51 gamins, de la maternelle au CM2. Avec une spécificité : trois classes mais seulement deux enseignants affectés. Le troisième enseignant est une « ouverture de poste provisoire ». C’est bien contre ce mot « provisoire » que nous luttons depuis plusieurs années.

Il y a quatre ans, nous nous sommes mobilisés pour empêcher la fermeture d’une classe. C’était dans le cadre de l’« école du socle », un mode d’organisation pensé pour faciliter le passage des élèves du cycle 3 – CM1 et CM2 – en 6e. De belles promesses… sur le papier ! En pratique, les petites écoles en milieu rural voyaient alors leurs CM1-CM2 transférés dans les écoles des villes où se situent les collèges. Comble de l’absurdité : cela obligeait parfois les enfants à faire des trajets en bus de 45 minutes voire 1 heure 15 matin et soir… deux ans plus tôt !

À la rentrée suivante, en septembre 2020, nous avons eu la promesse de l’« ouverture provisoire » d’un troisième poste pour novembre. Élus, parents d’élèves, habitants, tout le monde s’est mobilisé pendant les vacances de la Toussaint pour aménager cette nouvelle classe avec des meubles et du matériel récupérés chez les uns et les autres. Une belle victoire. Rentrée 2021 : moment d’accalmie. Mais on a vite compris que la rentrée 2022 serait compliquée. Les effectifs prévisionnels transmis par l’Éducation nationale étaient erronés et conduisaient à la suppression de la troisième classe.

Un bras de fer administratif s’est engagé, on me rétorquait toujours la même chose :  « On verra ça en mars », « on comptera en septembre ». Et, à la rentrée, les 47 élèves ne suffisaient pas, donc l’administration nous a répondu : « On ne supprime pas de poste, on met fin à l’ouverture provisoire ! » Stupéfiant ! Et encore ce mot « provisoire » qui cache une fermeture de classe qui ne dit pas son nom. Tous les matins, nous avons occupé l’école avec des parents d’élèves, des élus, des habitants… Au bout de quinze jours, un demi-poste a été créé, puis finalement le fameux troisième poste provisoire en novembre. Le même scénario se profile pour la rentrée 2023.

Une impression de déjà-vu et de bricolage permanent, au détriment du rythme scolaire des enfants et de la vie de notre village.

Une impression de déjà-vu et de bricolage permanent, au détriment du rythme scolaire des enfants et de la vie de notre village, car la présence d’une école reste un argument imparable pour que des jeunes couples s’installent. Or ces aberrations administratives nous enferment dans un cercle vicieux : les parents ne sont pas rassurés de voir qu’il faut toujours plusieurs mois avant que la situation se stabilise, donc ils sont de plus en plus nombreux à réfléchir à inscrire leurs enfants ailleurs, notamment dans le privé. Et si nos effectifs diminuent, nos chances d’avoir cette troisième classe permanente disparaissent.

Le 31 mars, Élisabeth Borne et Pap Ndiaye sont justement venus dans une école primaire de la Nièvre pour faire leurs annonces sur l’école en milieu rural, notamment un « changement de méthode » et « une anticipation sur trois ans des fermetures de classes ». La vraie question est : quelle vision ont-ils de la ruralité ? Personne ne comprend qu’une commune de moins de 200 habitants peut avoir un rôle de centralité. Ça n’entre ni dans les cases administratives ni dans les façons de penser de nombreux politiques. Or il y a les préjugés, les standards administratifs et la réalité.

À Brinon, il y a encore l’école, mais aussi une maison France services, une maison d’accueil pour personnes âgées gérée par la Mutualité française, un centre social et culturel, un marché dominical, un cabinet infirmier, une pharmacie, un distributeur automatique du Crédit agricole, une agence postale, un café-épicerie-boulangerie, un magasin d’informatique, un traiteur, un cabinet vétérinaire, des artisans, deux entreprises, une brigade de gendarmerie, une association d’aide à domicile, une ferme-auberge, une station-service, un centre de secours… La liste est atypique, mais bien réelle. J’invite les élus régionaux et nationaux à venir voir par eux-mêmes à quoi ressemble la vie à Brinon-sur-Beuvron, 180 habitants. Chiche !

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