Bachar Al-Assad : quand le crime paie

Dix ans après, le dictateur syrien a fait son retour au sein de la Ligue arabe, foulant un tapis rouge du sang de 400 000 Syriens massacrés par son régime et la Russie de Poutine.

Denis Sieffert  • 23 mai 2023
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Bachar Al-Assad : quand le crime paie
Un homme à Damas regarde sur son téléviseur des images du président syrien Bachar al-Assad à Djeddah, à la veille du sommet de la Ligue arabe, le 18 mai 2023.
© LOUAI BESHARA / AFP.

Le prince saoudien Mohammed Ben Salman, dit MBS, a donc déroulé le tapis rouge sous les pas du grand revenant, Bachar Al-Assad, réintégré sans autre forme de procès au sein de la Ligue arabe, dix ans après en avoir été exclu. Un tapis, rouge du sang de quelque 400 000 Syriens massacrés par le régime et la Russie de Poutine. Par opportunisme, plusieurs pays du Golfe avaient soutenu, le plus souvent indirectement, la rébellion, quand ils pensaient que Damas allait tomber. Par opportunisme, ils volent aujourd’hui au secours de la victoire du despote.

L’opération est rendue possible également par le rapprochement entre les deux grands ennemis régionaux, l’Iran et l’Arabie saoudite, qui ont renoué des relations diplomatiques en mai dernier. Mais ce n’est pas seulement un massacreur qui a été accueilli en majesté à la réunion de Djeddah, c’est aussi l’un des plus gros narcotrafiquants de la planète (1). Le clan Assad s’enrichit en faisant un commerce massif de captagon, cette amphétamine qui euphorise ceux que l’on envoie à la mort. L’ennui, c’est que cette « cocaïne du pauvre » fait aussi des ravages au sein d’une jeunesse saoudienne désespérée.

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Lire, sur le sujet, Stupéfiant Moyen-Orient de Jean-Pierre Filiu (Seuil, 2023).

Si MBS ne demande aucun compte à son nouvel ami pour le sang versé en Syrie (les leçons de morale de sa part seraient d’ailleurs malvenues), il lui demande en revanche de cesser de déverser la drogue qui devient un problème social et politique en Arabie. À cette restriction près, on a assisté, le 19 mai à Djeddah, à une véritable conjuration des dictateurs ou autocrates, s’auto-congratulant, après la grande peur des révolutions arabes. Mais une autre guerre s’est invitée. MBS, qui ne recule devant aucune audace, avait convié le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.

On a assisté, le 19 mai à Djeddah, à une véritable conjuration des dictateurs ou autocrates s’auto-congratulant.

Celui-ci n’a apparemment pas croisé Assad, mais il ne s’est pas privé de tancer ses hôtes pour leur peu d’empressement à condamner l’agression russe. Ou, lorsqu’ils l’ont fait, pour n’en tirer aucune conséquence pratique. Le royaume saoudien, par exemple, refuse toujours d’augmenter sa production de pétrole afin de ne pas faire concurrence à la Russie. Ce qui s’appelle avoir deux fers au feu. Cette attitude « médiane » entre l’agresseur russe et l’agressé ukrainien est d’ailleurs assez répandue. Inutile de préciser qu’elle profite surtout à Moscou.

Zelensky a pu le mesurer dans l’étape suivante de son périple. Au sommet du G7 d’Hiroshima, il a eu un entretien parfaitement improductif avec le Premier ministre indien, Narendra Modi, et essuyé une rebuffade du président brésilien Lula. Le Brésil tient à sa relation commerciale avec Moscou. On peut aussi imaginer que le procédé qui a consisté à lui imposer un face-à-face non programmé a été jugé indélicat. L’idée était venue, dit-on, d’Emmanuel Macron, qui avait affrété un avion de la République française pour acheminer le président ukrainien. Une maladresse insigne.

Malgré ce semi-échec diplomatique, Zelensky a pu enregistrer au moins une bonne nouvelle au Japon. L’autorisation donnée par les États-Unis aux Européens qui possèdent des avions de combat F-16 d’en livrer à l’Ukraine. L’autre nouvelle, mauvaise celle-là, est venue du front, avec la chute de la ville de Bakhmout, en lisière du Donbass, tombée aux mains de la milice Wagner. Une victoire à la Pyrrhus, peut-être, pour Evgueni Prigojine, sorte de frère de sang de Bachar Al-Assad. La prise d’un champ de ruines fait follement penser, en effet, aux Sentiers de la gloire, le film de Kubrick qui racontait l’envoi à la mort de nos pioupious, en 1916, pour une colline qui ne servait à rien.

Une victoire russe pour rien, c’est en tout cas ce que tente de faire accroire le discours ukrainien. Et la paix, me direz-vous, dans tout ça ? Les « médiateurs » ne manquent pas. La dernière initiative en date est parrainée par un certain Jean-Yves Ollivier, vieux cheval de retour de la Françafrique, ami de l’autocrate congolais Denis Sassou-Nguesso et de… Manuel Valls. Ce qui n’est pas très bon signe. Elle implique l’Afrique du Sud, fortement soupçonnée de vendre des armes à Moscou.

Les « paix de Pétain », qui suggèrent à l’Ukraine de lâcher prise, foisonnent. L’ombre de Poutine est partout. La simultanéité des sommets de la Ligue arabe et du G7 est venue nous rappeler que s’il n’avait pas pu agir à sa guise en Syrie, il ne serait sans doute pas en Ukraine. En attendant, que pense-t-il, Poutine, en voyant son ami Assad reçu avec faste à Djeddah ? Peut-être que le temps finit toujours par absoudre les assassins, à condition qu’ils soient victorieux.

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