« L’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran fait entrevoir une paix durable au Yémen »

Le Yémen connaît un accord de cessez-le-feu depuis le 20 mars, porté par les deux grandes puissances régionales adversaires, l’Arabie saoudite, alliée du gouvernement légal, et l’Iran, soutien des rebelles séparatistes. Le géopolitologue Didier Billion analyse l’impact de cet accord pour le Moyen-Orient.

Patrick Piro  • 17 mai 2023 abonné·es
« L’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran fait entrevoir une paix durable au Yémen »
« L’accord de réconciliation entre l’Arabie saoudite et l’Iran fait entrevoir une paix durable au Yémen ».
© Maxime Sirvins

Spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient, Didier Billion est l’auteur de nombreux ouvrages et études, notamment pour des institutions françaises et des entreprises. Il est directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), qu’il a rejoint en 1991.

Le Yémen résonne depuis des années de la chronique de la guerre que se mènent le Sud et le Nord du pays, et de la situation humanitaire catastrophique d’une grande partie de la population. L’accord du 20 mars fait-il entrevoir une solution durable au conflit ?

Il faut être prudent dans la lecture de cet accord. À ce stade, il ne concerne que l’échange de prisonniers entre les Houthis et l’Arabie saoudite. C’est important, certes, mais ce n’est pas la première fois, une telle opération s’est déjà produite en 2020. Depuis lors, le processus de négociation, s’il n’a pas été interrompu, n’avait donné aucun résultat. Ce qu’il y a d’intéressant dans cet épisode, c’est qu’il s’inscrit dans une logique régionale découlant de l’accord de réconciliation scellé entre l’Arabie saoudite et l’Iran le 10 mars dernier.

S’il est excessif de parler de climat de confiance, ce nouveau contexte a cependant manifesté sa capacité d’aboutir à un compromis permettant la libération par les Saoudiens de plus de 700 « rebelles » houthis et la remise de presque 200 prisonniers par ces derniers. Ce n’est pas négligeable, et on doit s’en féliciter. Pour autant, aucun des problèmes qui se posent au Yémen n’est résolu à ce stade. La situation politique est très compliquée, en raison notamment de la multiplicité des acteurs. Il perdure des divergences considérables entre les composantes de la société yéménite.

Il perdure des divergences considérables entre les composantes de la société yéménite.

C’est donc comme si le pays était revenu à la « case départ » de 2015, avec ce cessez-le-feu ?

L’intervention saoudienne, en dépit de sa barbarie – essentiellement des bombardements aériens meurtriers –, n’est pas parvenue à modifier fondamentalement le rapport de force. Quant aux Houthis, ce sont des guerriers rompus aux combats au sol : l’aide de l’Iran a été importante, elle leur a permis de renforcer leur capacité militaire, mais elle n’a probablement fait qu’accélérer une conquête territoriale que l’on pressentait de toute façon inéluctable.

Et puis cette guerre n’est pas née de l’intervention des « parrains ». Elle a des racines endogènes, qui renvoient à l’histoire heurtée et souvent violente de ce pays, et aux déséquilibres d’une société structurée par une organisation clanique. Les « parrains » se sont greffés sur la dynamique d’un conflit armé préexistant, pour y soutenir leurs écuries.

Cependant, peut-on espérer un apaisement durable du conflit ?

Les tractations pour un accord politique sont ouvertes, mais loin d’être abouties. Quelle formule de gouvernance acceptable au Yémen ? Quel partage du pouvoir ? Là réside l’enjeu. Mais comme aucun des acteurs n’est en mesure d’imposer ses exigences aux autres, on peut attendre de l’Arabie saoudite et de l’Iran qu’ils poussent une solution. Dans le cadre de leurs intérêts respectifs bien sûr. Aussi, il est raisonnable de penser que l’on parviendra rapidement à déboucher sur un accord politique. Une autre chose sera de passer aux travaux pratiques.

L’Arabie saoudite, après avoir vu son intérêt d’entrer dans le conflit, est-elle sincèrement motivée pour s’en retirer ?

En 2015, Mohamed Ben Salmane (MBS), qui venait de prendre le pouvoir, a fait l’erreur terrible de foncer comme un taureau devant la muleta, sans comprendre tous les pièges du conflit yéménite. On ne perçoit généralement pas cet enjeu en Occident : l’Arabie saoudite a toujours considéré que son véritable concurrent régional était le Yémen. Un pays presque aussi peuplé que l’Arabie saoudite, un véritable État-nation, le seul de la région, et dont l’existence remonte à plusieurs siècles. Qatar, Bahreïn, Émirats arabes unis : aucun de ces États confettis ne peut prétendre à ce statut.

Certes, il n’y a pas photo sur le plan économique – le Yémen est le plus pauvre des pays des mondes arabes, et l’Arabie saoudite un des plus riches. Il n’empêche, Riyad a toujours considéré d’un mauvais œil la potentielle concurrence politique de ce voisin, en termes démographiques, de superficie et d’histoire. La perspective d’affaiblir le Yémen a donc sûrement motivé la décision de MBS en 2015.

Cependant, on peut l’affirmer : les Saoudiens ne sont plus dans la même séquence, et ils cherchent désormais par tous les moyens à se désengager – et au plus vite – d’un théâtre yéménite où ils ont mis les pieds bien imprudemment, commettant des dégâts politiques, et surtout humains, considérables. MBS n’est plus aussi impulsif. Plutôt qu’entretenir une rivalité contre-productive avec l’Iran, il voit pour son pays l’intérêt d’une réconciliation,

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