Raoult : du scandale sanitaire à l’affaire politique

Avec l’affaire de l’ancien directeur de l’IHU de Marseille, c’est, outre le scandale sanitaire, toute une République qui défile sous nos yeux, de réseaux occultes, de complicités, et de corruption sans doute. Qui a couvert Raoult ? Et pourquoi ?

Denis Sieffert  • 31 mai 2023
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Raoult : du scandale sanitaire à l’affaire politique
Didier Raoult, lors d'une conférence de presse sur le Covid-19 à l'IHU de Marseille le 20 avril 2022.
© CHRISTOPHE SIMON / AFP

Enfin, l’affaire Raoult prend sa véritable dimension : non celle d’une « polémique » idéologisée ad nauseam, mais un énorme scandale sanitaire. Non un spectacle médiatique orchestré autour d’un personnage peu scrupuleux, mais une affaire politique qui en dit long sur les lâchetés et les connivences qui ramifient notre République. Une affaire qui, en démocratie, devrait éclabousser bien plus que l’ancien directeur de l’Institut hospitalier universitaire (IHU) de Marseille.

L’histoire prend aujourd’hui sa véritable dimension parce qu’une quinzaine de sociétés médicales viennent de publier une tribune dans Le Monde (1) en réplique à une nouvelle parution d’un document signé Raoult vantant, une fois encore, les vertus de son protocole à base d’hydroxychloroquine (HCQ). Remontons le temps. En mars 2020, alors que la pandémie du covid-19 fait ses premiers morts en France, Didier Raoult affirme avoir découvert le remède miracle, un dérivé de la chloroquine.

Le professeur commence aussitôt à administrer de l’HCQ à des centaines de patients. On se presse aux portes de l’IHU. Raoult, par ailleurs connu pour être un climatosceptique militant, entreprend une campagne de communication tapageuse. Les plus sceptiques se résignent : pourquoi ne pas essayer son traitement puisqu’il n’y a rien d’autre ? Mais, très vite, des voix s’élèvent. Non seulement la thérapie n’obtient aucun résultat, mais elle est dangereuse. En mai 2020, l’HCQ est interdite par décret. Ici finit une tentative simplement hasardeuse et commence le scandale.

Car l’interdiction n’a aucun effet sur celui qui se proclame « meilleur microbiologiste du monde ». Jusqu’au 31 décembre 2021, 30 423 patients ont été « traités » avec la molécule prohibée, au mépris des règles qui encadrent la pharmacologie. Notre docteur Folamour, qui dénigre le vaccin, reçoit le soutien de l’ancien ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, du maire de Nice, Christian Estrosi et, last but not least, de Nicolas Sarkozy. On joue la carte de la politisation à outrance. Sur les réseaux sociaux, quiconque dénonce l’imposture participe d’un complot des mandarins contre un professeur rebelle. C’est Big Pharma contre Don Quichotte. Paris contre Marseille. L’antisémitisme, parfois, n’est pas loin.

C’est toute une République qui défile sous nos yeux, de réseaux occultes, de complicités.

Raoult exploite sans retenue le filon. On déploie une banderole à sa gloire au fronton de l’IHU. Une voiture arborant son portrait arpente les rues de la cité phocéenne. On en perd de vue l’objet médical de la controverse. Ce qui frappe, c’est l’aptitude à construire une figure de rebelle avec un personnage que soutient tout l’establishment local. Même une partie de la gauche se fait piéger (Mélenchon voit en Raoult, « trop mal aimé par les belles personnes pour ne pas éveiller l’intérêt », une sorte de gilet jaune en blouse blanche). Puis, c’est l’apothéose : Emmanuel Macron lui-même fait le voyage de Marseille, pour poser en présence du grand homme.

Or voilà que trois ans après le décret d’interdiction, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) « s’apprête » à porter plainte, et qu’une association de victimes se constitue. Voilà, en vérité, que l’on découvre ce que l’on savait déjà. Toutes les turpitudes sont connues, y compris des centaines de consultations expéditives pour un faux traitement remboursées par la Sécu. Parmi toutes les voix qui s’élèvent aujourd’hui, une résonne particulièrement : celle d’Irène Frachon, la lanceuse d’alerte qui avait révélé le scandale du Mediator du laboratoire Servier, cette amphétamine dont les effets secondaires ont causé la mort de près de 2 000 personnes. Irène Frachon dresse un parallèle entre Servier et Raoult, l’un et l’autre, dit-elle, « gourous et mégalomanes » (2).

Mais la pneumologue souligne une différence aggravante. Dans l’affaire de l’HCQ, tout s’est fait sur la place publique. Les conclusions alarmantes des premières enquêtes de l’ANSM, des articles de presse… Mais rien. Silence et impunité. Et poursuite d’un trafic au vu et au su de tous, et au péril de la santé publique. Laissons là Raoult. Le vrai scandale est politique. C’est toute une République qui défile sous nos yeux, de réseaux occultes, de complicités, et de corruption sans doute. Il faut espérer qu’une autre affaire commence. Qui a couvert Raoult ? Et pourquoi ? Accessoirement, il nous faut aussi interroger une partie de la gauche et des réseaux sociaux qui ont transformé en complot des élites contre un rebelle ce qui est apparu très vite comme une imposture pseudoscientifique.

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