Israël et l’apartheid : regarder la vérité en face

Le vote récent de l’Assemblée nationale niant l’existence d’un système d’apartheid en Israël en dit plus sur certains députés que sur la réalité sur le terrain. Quelles sont les motivations des chefs de file de ce déni ?

Denis Sieffert  • 10 mai 2023
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Israël et l’apartheid : regarder la vérité en face
© Ahmed Abu Hameeda / Unsplash

Depuis que le Saint-Office a contraint Galilée à abjurer la vérité scientifique pour éviter le bûcher, on sait que si un pouvoir politique ou religieux, armé de la force ou du nombre, peut toujours décréter ce qu’il veut, il ne transforme pas la réalité. Le vote récent de l’Assemblée nationale niant l’existence d’un système d’apartheid en Israël et dans les Territoires occupés procède de la même illusion de toute-puissance.

Les 199 députés qui ont rejeté la résolution déposée à l’initiative d’un élu communiste ne feront pas que l’apartheid soit un fantasme d’antisémites. Ils sont notre Saint-Office. Quant aux 71 qui ont voté en faveur du texte, ils ne risquent pas le bûcher, mais l’opprobre d’une accusation infamante. Chose remarquable : leurs adversaires stigmatisent et invectivent beaucoup, mais n’évoquent jamais la situation sur le terrain.

Pour résumer, je dirais que ce vote en dit plus sur certains députés que sur la réalité israélo-palestinienne. Il y a erreur sur la démocratie quand on soumet au vote une réalité archi-documentée. J’entends bien ici l’objection. Qui dit que mon évaluation de la situation en Israël-Palestine est autre chose que ma propre opinion ?

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Je ne mettrai pas en avant mon expérience personnelle, mais je me demande combien de fois Aurore Berger (la plus prompte à traiter d’antisémite tout ce qui bouge) ou Jérôme Guedj sont allés à Hébron ou à Naplouse, autrement (peut-être) que dans les cars des tour-opérateurs affrétés par le gouvernement israélien pour constater à quel point les Palestiniens sont riches, heureux et libres ?

Mais, il se trouve qu’au cours des deux dernières années, Amnesty International, Human Rights Watch, la Cimade, la Fédération internationale des droits de l’homme, et l’organisation israélienne B’Tselem – excusez du peu ! – ont produit séparément des rapports qui, tous, ont conclu à une situation d’apartheid. Un complot ? Tous antisémites ? Tous voulant la destruction d’Israël ?

Ce n’est pas la vérité qui produit de l’antisémitisme, c’est le mensonge.

Citons seulement quelques mots du rapport d’Amnesty (1) : « maintien des Palestiniens séparés les uns des autres dans des sphères territoriales juridiques et administratives distinctes » ; « pratiques discriminatoires consistant à saisir des terres et des biens, à démolir des logements et procéder à des expulsions forcées » ; « restrictions discriminatoires sur l’accès aux terres cultivables, à l’eau, au gaz et au pétrole ».

Amnesty cite le cas de Palestiniens dont les maisons ont été détruites plusieurs fois au prétexte que leur construction était illégale. Un cercle infernal quand on sait qu’ils n’obtiennent jamais d’autorisation de construire. Tout cela pour récupérer des terrains destinés à accueillir de nouvelles colonies. Et l’on passe sur les assassinats arbitraires et les détentions sans jugement.

Dans son rapport, la Cimade rappelle qu’une convention de 1973 définit « le crime d’apartheid » comme « un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime ». Nous y sommes, non ?

Au fond, la meilleure définition, c’est Benyamin Netanyahou lui-même qui l’a donnée, en mars 2019 : « L’État d’Israël n’est pas l’État de tous ses citoyens […] mais l’État-nation du peuple juif, et uniquement du peuple juif. » Le Premier ministre ne faisait là que reprendre mot à mot la loi de juillet 2018 qui gravait dans le marbre un apartheid déjà bien installé.

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On ne cesse de s’interroger sur les motivations des chefs de file de ce déni. Laissons de côté le « vulgairissime » Meyer Habib, représentant de l’extrême droite israélienne, et Aurore Berger, présidente du groupe d’amitié France-Israël, qui « fait le job ». Mais le socialiste Jérôme Guedj, qui accuse ses amis de la Nupes de « racialiser » le conflit ? Lui, si pertinent sur les autres sujets, croit-il vraiment que ce sont les auteurs de la résolution qui « racialisent » le conflit, plutôt que Netanyahou et le fasciste Ben Gvir ?

On voit bien le sous-entendu : ce ne sont pas des Palestiniens en tant que groupe humain qui sont discriminés, mais des « terroristes » qui sont réprimés. Pourtant, dans la définition de Netanyahou, il n’est pas question de « terrorisme », mais bien de séparatisme ethnique. La vérité fait peur parce qu’elle créerait des devoirs. Mieux vaut donc mentir. Mais ce n’est pas la vérité qui produit de l’antisémitisme, c’est le mensonge. Un mensonge qui résulte de l’alliance du tribalisme, de la couardise et du cynisme.

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