Les guitares peuvent-elles tuer le fascisme ?

Dix ans après l’assassinat de Clément Méric par des néonazis, deux concerts lui rendront hommage et poseront la question de la bataille culturelle contre l’extrême droite.

Daphné Deschamps  • 31 mai 2023 abonné·es
Les guitares peuvent-elles tuer le fascisme ?
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2 juin, Kilowatt, Vitry-sur-Seine, 15 euros en prévente (Agnostic Front, Brigada Flores Magon, Bull Brigade, Syndrome 81) ; 3 juin, La Parole errante, Montreuil, entrée à prix libre (Médine, Rocé, Dj Pone, Juste Shani, Ryaam, Costa, Nanor) ; 4 juin, manifestation antifasciste au départ de Barbès, Paris, 11 h.

« This machine kills fascists », écrivait Woody Guthrie sur sa guitare en 1941. L’inscription, qui a marqué nombre d’artistes et de militants, n’a jamais été réaliste, puisque le nombre de fascistes tués à coups de guitare est, à notre connaissance, assez faible, sinon nul. Cependant, si elle a eu autant d’impact et se retrouve toujours aujourd’hui sur les instruments, stickers et affiches de groupes indépendants, jusqu’aux guitares de Rage Against the Machine, c’est qu’on peut y trouver un fond de vérité.

La lutte contre le fascisme, et contre les idéologies d’extrême droite en général, est aussi une guerre culturelle. S’il n’est pas question de tuer littéralement leurs représentants, il s’agit bien de faire disparaître leurs idées de l’horizon politique. En ce sens, la musique a toujours eu une place très importante dans les cultures des mouvements antifascistes, antiracistes ou féministes, souvent liées aux contre-cultures.

C’est donc en toute logique qu’au programme du Week-end international antifasciste d’hommage à Clément Méric, dix ans après son assassinat par des militants ­néonazis de Troisième Voie, se tiennent deux concerts avec des artistes dont ­beaucoup ne cachent pas leur engagement.

Deux soirées donc, l’une plus oi !, punk et skinhead, et l’autre orientée rap et musique électronique. « C’était évident pour nous de participer à ce week-end », avance Mateo, chanteur de Brigada Flores Magon, à l’affiche de la première soirée au Kilowatt à Vitry-sur-Seine (94), le vendredi 2 juin. « Depuis la création de notre groupe il y a vingt-six ans, on a toujours revendiqué une critique radicale antifasciste, on vient d’une génération de culture redskin, et l’assassinat de Clément Méric nous avait beaucoup touchés. Si on n’avait pas été invités à jouer, on aurait été dans le public. »

Faire sortir le combat antifasciste des cercles militants

Pour Médine aussi, tête d’affiche de la soirée du samedi 3 juin à la Parole errante, à Montreuil (93), le rapport à l’antifascisme est une évidence : « Depuis le début de ma tournée, à chaque concert, des membres des organisations anti­fascistes locales sont dans le public », raconte le rappeur fréquemment ciblé par l’extrême droite. « Ça m’honore que mon public chante “Siamo tutti antifascisti” [“Nous sommes tous antifascistes”]. C’est une reconnaissance pour moi d’être sur la même transversale que celles et ceux qui mènent ce combat sur le terrain. Quand on m’a proposé ce concert, j’ai tout de suite bloqué la date. »

Antifascisme Clément Méric concerts

Même son de cloche du côté de Juste Shani, rappeuse féministe, qui se souvient d’un concert au Lyon Antifa Fest en 2019 : « Je rappe des textes engagés, et j’avais adoré la ferveur et l’ambiance de ce festival. Depuis, je dis presque toujours oui à ce genre d’événements. L’antifascisme rejoint évidemment mes valeurs : le féminisme, l’antiracisme, la lutte contre l’homophobie. Je trouve parfaitement ma place dans ce concert. »

L’antifascisme rejoint évidemment mes valeurs : le féminisme, l’antiracisme, la lutte contre l’homophobie.

Ces concerts remplissent deux fonctions : offrir des moments de cohésion et de joie, mais aussi et surtout, faire sortir le combat antifasciste des cercles militants. Avec 1 500 places à prix libre, la liste des artistes du samedi soir met en avant des noms connus et a un effet d’appel évident. « C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis invité, explique Médine. C’est important pour moi de sensibiliser mon public à ce combat et d’alerter sur la montée de l’extrême droite et sa violence, qui peuvent paraître parfois abstraites ou lointaines. »

Face à cette montée de l’extrême droite, « il faut construire un mouvement antifasciste politique qui n’ait pas des réponses seulement physiques dans la rue. Des moments comme ce week-end, en dehors du côté émotionnel et mémoriel, permettent de se réunir, de créer des réseaux et d’avancer », analyse Mateo, des Brigada Flores Magon, qui poursuit : « Le rôle d’un groupe de punk, de oi ! ou de rock est de créer des lieux de rencontre, d’amitiés politiques et humaines. On a beau avoir écrit sur nos guitares que “ces machines tuent les fascistes”, on a toujours su que ce n’était pas vrai. Ce qui est vrai, c’est que la musique est un facteur coagulant qui crée des rencontres et des moments. La culture dans la lutte sert à ramener des gens qui n’iraient pas forcément dans des réunions ou à des meetings, et à sortir du carcan communautaire. »

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Musique
Temps de lecture : 4 minutes