Au Palais de la Porte Dorée, les guides-conférenciers ubérisés

Alors que le Musée national de l’histoire de l’immigration a rouvert après trois ans de travaux, le Palais de la Porte Dorée à Paris a décidé d’externaliser le recours aux guides-conférenciers. Jusqu’ici salariés, ils seront désormais microentrepreneurs.

Pierre Jequier-Zalc  • 19 juin 2023
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Au Palais de la Porte Dorée, les guides-conférenciers ubérisés
Une visiteuse du Musée, à la veille de son ouverture, en octobre 2007.
© JACQUES DEMARTHON / AFP.

Ce n’est sans doute pas comme cela que la direction du Palais de la Porte Dorée, dans le 12e arrondissement de la capitale, imaginait la réouverture du Musée national de l’histoire de l’immigration, trois ans après sa fermeture pour travaux. Car quelques jours à peine après l’inauguration de son nouveau parcours, ce n’est déjà plus pour cela que le Palais – dont dépend le Musée –, est au centre de l’attention. En effet, le 16 juin, dans un billet de blog publié dans Le Club de Mediapart, des conférenciers du musée expliquent comment leur profession, jusqu’ici internalisée, a été externalisée au profit d’une agence sous-traitante. « Les conférenciers vacataires, jusqu’à présent directement salariés par l’établissement public du Palais de la Porte Dorée, vont être remplacés par des intervenants de l’agence qui a remporté l’appel d’offres », dénoncent les désormais ex-conférenciers.

« J’ai donné ma dernière visite il n’y a même pas deux semaines. J’ai fondu en larmes. Personne ne m’a dit au revoir hormis le personnel de sécurité », raconte Léa*, qui travaillait depuis presque 10 ans dans ce musée. Les conférenciers joints par Politis tiennent tous à rester anonymes, de peur de représailles de la part de leurs autres employeurs.

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Les prénoms ont été changés.

« Cette histoire d’externalisation a commencé en 2021, lorsque Pap Ndiaye est devenu le directeur du Palais de la Porte Dorée », se rappelle Anouk*, « on a alors appris qu’on allait se faire externaliser. Tout ça par des bruits de couloir. Une première violence qui n’allait malheureusement pas être la dernière ». Inquiets, les conférenciers demandent à être reçus par celui qui est désormais ministre de l’Éducation nationale. Après un « parcours du combattant » pour obtenir une date de rendez-vous, ils alertent Pap Ndiaye sur leurs inquiétudes à l’égard du projet d’externalisation. « On a souligné que cela nous précariserait beaucoup, d’un point de vue du statut, mais aussi du revenu », explique Léa. Malgré les alertes, rien n’y fait. « C’est même lui qui a accepté le principe de l’externalisation », assure le Syndicat national des guides-conférenciers (SNG-C).

Cette relation de subordination s’apparente à du salariat déguisé et constitue une grave entorse à la loi.

Comment ce changement impacte-t-il très concrètement ces ex-salariés ? Sur le statut, déjà. Auparavant, ces 8 conférenciers réguliers étaient vacataires, et, donc, salariés. Dorénavant, s’ils souhaitent continuer à travailler au sein du musée national de l’histoire de l’immigration, ils devront être indépendants, et donc, devenir microentrepreneurs. « Cette relation de subordination (honoraires imposés, obligation de formation) s’apparente à du salariat déguisé et constitue une grave entorse à la loi », dénoncent, sur le blog de Mediapart, les conférenciers. Pis, s’ils veulent rester au musée en tant qu’indépendants, les ex-conférenciers doivent de nouveau passer un entretien pour, peut-être, être de nouveau recrutés. « Vous imaginez la violence du processus quand ça fait plus de 10 ans que vous faites bien ce métier », souffle Anouk, pour qui il « est totalement hors de question d’accepter ce statut non-protecteur ! » Sur les huit conférenciers visés par cette externalisation, seule une a décidé d’accepter ces conditions.

Et ce changement de statut affecte aussi très lourdement le revenu. « On parle d’une division des revenus de l’ordre de 50 % », s’indigne le syndicat national des guides conférenciers. Alors qu’ils étaient payés 68 euros net de salaire pour une visite jusqu’à présent, le montant proposé par l’agence sous-traitante est de 75 euros d’honoraires pour une visite. « Une fois les charges retirées, on parle d’un revenu de 30/35 euros. C’est indécent. Le prix du marché est plus de l’ordre de 150-200 euros », poursuit le syndicat. Le tout, sans majoration des tarifs pour les dimanches ou les jours fériés.

Aucune carte professionnelle demandée

Avec la Fédération nationale des guides interprètes et conférenciers (FNGIC), ils s’inquiètent également d’un autre facteur. Selon les conférenciers, aucune carte professionnelle de guide-conférencier, pourtant obligatoire pour une visite payante dans les musées de France et les monuments historiques, n’a été demandée aux futures recrues. Ce qui est, à leur sens, illégal. Contacté, la FNGIC promet d’envoyer un courrier au ministère si des preuves de telles pratiques venaient à être dévoilées. Le SNG-C, lui, en prépare un qui devrait partir en ce début de semaine. Outre l’aspect illégal de la chose, ce recours à des personnels non qualifiés serait une nouvelle manière de décrédibiliser leur métier. « Ils sont en train de recruter des étudiants qui feront ça pour avoir un petit complément de revenu. Comme si ce n’était pas un métier à part entière, avec une formation et des compétences particulières », souffle Léa.

Le manque de temps et de personnel est souvent le premier motif qui pousse les musées à faire appel à des agences.

Mais pourquoi cette volonté d’externaliser les guides-conférenciers ? Le bon sens y verrait une raison financière. Mais, selon le SNG-C, ce ne serait pas le cas. « Ce n’est pas une question d’argent. Ça va leur coûter plus cher de rajouter un intermédiaire. Simplement, la ligne budgétaire de la masse salariale a baissé et ça prendra moins d’énergie pour organiser les emplois du temps, faire les fiches de paies. » Un son de cloche confirmé par la FNGIC : « Le manque de temps et de personnel est souvent le premier motif qui pousse les musées à faire appel à des agences », qui reconnaît aussi que cette pratique « se généralise beaucoup dans les grands musées ». Contacté, le Palais de la Porte Dorée n’a pas répondu à nos questions avant la publication de cet article.

Surtout, cette externalisation arrive après une longue liste de processus similaires sur d’autres professions. L’accueil, la surveillance, les vestiaires ont, au fil des années, été confiés à des prestataires extérieurs. Selon plusieurs interlocuteurs au sein du Palais, plusieurs bibliothécaires sont aussi parties au fil de l’eau, leur nombre passant de six à deux. « Il y a un vrai problème de ressources humaines au sein du Palais de la Porte Dorée », confie une source, « là on en entend parler parce que les guides-conférenciers sont nombreux et font du bruit, mais plein de choses de ce type se sont faites de manière plus feutrée avant. J’ai bossé dans beaucoup de musées, je n’avais jamais rencontré une ambiance de ce type ».

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