Féminismes gagés, luttes entravées

De la dissolution des Soulèvements de la Terre au fonds Marianne, force est de constater que le pouvoir actuel met la lutte féministe au service de ses manigances nauséabondes.

Nacira Guénif  • 28 juin 2023
Partager :
Féminismes gagés, luttes entravées
Manifestation féministe à Paris, le 8 mars 2023.
© Lily Chavance.

Il est plus que temps de forger et d’intensifier des coalitions bénéfiques à la Terre-mère, pour paraphraser des peuples autochtones désormais en cour auprès de chefs d’État en quête de rédemption écologique. Pourtant, si l’on contemple la décision de dissolution des Soulèvements de la Terre, et les déclarations de Marlène Schiappa autour du fonds Marianne, force est de constater que le pouvoir actuel met la lutte féministe au service de ses manigances nauséabondes. Le point commun entre ces deux coups de force, c’est la loi séparatisme, voulue par Emmanuel Macron, fomentée par Schiappa et Gérald Darmanin, dont le champ d’action ne cesse de s’étendre. Elle entend terrasser tout ce qui n’a pas l’heur de plaire au gouvernement et est allègrement utilisée pour réduire au silence quiconque prétend agir contre les multiples carences de l’État français. En l’occurrence face à l’urgence écologique, mais pas que, si l’on considère la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France, au lendemain du terrible assassinat de Samuel Paty.

Ce vestige de la colonisation encore bien actif et lucratif appelle une transition écologique forte.

Que vient faire le féminisme dans tout cela ? objectera-t-on. C’est que, depuis au moins deux décennies, la cause des femmes est gagée avec une facilité déconcertante et une égale constance par tous les bords politiques. A fortiori si ces femmes sont musulmanes et qu’il est décrété qu’il faut les sauver, y compris contre leur volonté. Ce discours civilisateur n’a pas faibli, pas même après #MeToo, qui prouve pourtant sans équivoque que l’Occident n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de s’approprier et de domestiquer les femmes.

Sur le même sujet : Le présent colonial de la France

Cerise sur le gâteau moisi d’une République autoritaire, c’est le même Darmanin qui dénonce les violences domestiques en Kanaky/Nouvelle-Calédonie, que les médias loyalistes comme du service public imputent uniquement aux hommes kanaks. Accueilli début juin à Nouméa par des femmes rappelant ses excès tout sauf féministes, il est mal placé pour venir y faire la leçon face à un peuple engagé dans sa décolonisation. Par contre, il aurait fort à faire pour arrêter le pillage et les ravages générés depuis un siècle et demi par l’exploitation du nickel sur la Grande Terre. Ce vestige de la colonisation encore bien actif et lucratif appelle une transition écologique forte de toutes les coalitions possibles. Y compris celle dont il vient d’obtenir la dissolution.

Les manigances des Schiappa et Darmanin veulent anéantir les alliances féministes, écologiques et antiracistes qui se forgent. Ce qui nous vaut aussi cet étrange attelage de la révision de la Constitution annoncée pour l’automne, qui devrait comporter la constitutionnalisation de la liberté de recourir à l’avortement et la clôture infondée et unilatérale des accords de 1988 et 1998, qui reconnaissent le droit à l’autodétermination du peuple kanak et appellent au rééquilibrage. Un tel coup de force y rouvrirait de facto la colonisation de peuplement. Toutes les instrumentalisations sont bonnes à prendre et la foire aux surenchères bat son plein, pour le pire. À ce jeu-là, les femmes restent une proie facile et le féminisme une simple rhétorique qui n’engage en rien ceux qui en abusent. 

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Idées Intersections
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »
Entretien 13 novembre 2025 abonné·es

13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »

Les audiences avaient duré dix mois et réuni une centaine de parties civiles. En septembre 2021, vingt accusés comparaissaient devant la cour d’assises spéciale de Paris dans le procès des attentats du 13 novembre 2015. Maître de conférences en science politique, Antoine Mégie a mené, avec trois coautrices, une enquête au long cours sur le procès.
Par Olivier Doubre
Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »
Entretien 5 novembre 2025 abonné·es

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »

Des millions de personnes dans les rues, un pays bloqué pendant plusieurs semaines, par des grèves massives et reconductibles : 1995 a été historique par plusieurs aspects. Trente ans après, la politiste et spécialiste du syndicalisme retrace ce qui a permis cette mobilisation et ses conséquences.
Par Pierre Jequier-Zalc
1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique
Analyse 5 novembre 2025 abonné·es

1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique

Le mouvement de 1995 annonce un retour de l’engagement contre la violence néolibérale, renouant avec le mouvement populaire et élaborant de nouvelles problématiques, de l’écologie à la précarité, du travail aux nouvelles formes de solidarité.
Par Olivier Doubre
La gauche française s’illusionne en croyant être le reflet de Zohran Mamdani
Chronique 5 novembre 2025

La gauche française s’illusionne en croyant être le reflet de Zohran Mamdani

Du Parti socialiste à la France insoumise, les composantes de la gauche française se servent de la victoire du maire de New York pour justifier leur propre stratégie. Un doux rêve, tant une figure comme Zohran Mamdani ne pourrait advenir en France. Voici pourquoi.
Par Fania Noël