Festival June Events : les mouvements du vivant

Nettement tournée vers l’extérieur, la 17e édition du festival June Events présente plusieurs propositions chorégraphiques originales en prise sensible avec la nature. 

Jérôme Provençal  • 7 juin 2023 abonné·es
Festival June Events : les mouvements du vivant
© Patrick Berger

17e édition du festival June Events /Jusqu’au 17 juin / Divers lieux. atelierdeparis.org

Au cœur du bois de Vincennes, à Paris, se dresse la Cartoucherie, vaste fabrique scénique où, depuis les années 1970, l’on s’attache à faire chanter les âmes plutôt que parler les armes. Dans l’ombre de l’iconique Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, plusieurs autres établissements fertilisent le terrain en art dramatique, notamment le Théâtre de l’Aquarium et le Théâtre de la Tempête.

Fondé par la chorégraphe américaine Carolyn Carlson et actuellement dirigé par Anne Sauvage, l’Atelier de Paris – qui opère sous le statut de centre de développement chorégraphique national – y cultive les herbes vivaces de la danse contemporaine. Se déroulant pendant environ deux semaines en juin, le festival June Events constitue le principal rendez-vous public de sa saison.

Est-ce l’appel de la forêt environnante ou un effet de l’inquiétude croissante liée au dérèglement climatique ? Ou les deux ? Toujours est-il que l’édition 2023 révèle une importante prise en considération de la nature, dont la présence s’affirme – comme sujet, motif et/ou lieu d’action – à plusieurs endroits du programme, riche au total d’une vingtaine de propositions artistiques.

«Chaque édition du festival propose des spectacles en extérieur, dans la nature, resitue Anne Sauvage (dont le nom de famille prend ici une résonance toute particulière). Du fait de son emplacement, dans le bois de Vincennes, l’Atelier de Paris s’avère un endroit très inspirant pour mener ce type d’initiatives. Par ailleurs, cela permet de toucher un public qui ne fréquente pas forcément les salles de spectacle. Je trouve très intéressant d’inscrire des pièces dans un environnement vivant, soumis à des variations impré­visibles et non maîtrisables. Cette année, j’avais vraiment envie de mettre en avant des artistes qui remettent en question leur façon de travailler, placent leur rapport au vivant au cœur de leurs créations et cherchent à explorer d’autres modes de relation avec le public.»

Inscrire des pièces dans un environnement vivant, soumis à des variations impré­visibles et non maîtrisable.

Dirigée par la chorégraphe, danseuse et musicienne franco-portugaise Joana Schweizer, la jeune compagnie Aniki Vóvó – qui explore un univers scénique conjuguant danse, théâtre, musique et cirque – offre à June Events la primeur de sa nouvelle création, Des oiseaux. Celle-ci se place sous l’aile inspiratrice de la philosophe Vinciane Despret, à l’affût du vivant en général et des animaux en particulier, autrice notamment de l’essai Habiter en oiseau (1).

1

Actes Sud, 2019.

Se profilant comme une « fable écologique et sociale », la pièce oppose à la morne platitude du désenchantement la sinuosité secouante d’une euphorie carnavalesque et tend à faire jaillir sur scène une nuée aussi bariolée que déterminée. « Nous transformons l’immobilité en mouvement dansé, l’accablement en énergie, la soumission en révolte, le renoncement en joie expansive. L’énergie fait battre les cœurs plus vite et plus fort », annonce la compagnie dans sa note d’intention.

Extrêmement singulier, entre l’humain et l’animal, le langage corporel procède d’une observation attentive des oiseaux, de leurs vols et de leurs parades nuptiales. Dans un va-et-vient constant de l’individuel au collectif, les cinq interprètes font advenir ensemble une effervescente danse de résistance. Mêlant grondements percussifs, éclats de voix, chants, sifflements et autres gazouillis, la foisonnante composition sonore amplifie encore la dynamique de la pièce.

Expérience buissonnière

De son côté, Flora Détraz propose Autour d’Hurlula, incantations dans la forêt, une expérience inclassable spécialement conçue pour June Events, en prélude à sa nouvelle pièce, Hurlula, dont les premières représentations auront lieu en septembre à la Biennale de la danse de Lyon. Approfondissant sa recherche créatrice, axée en particulier sur la voix humaine, la danseuse et chorégraphe s’intéresse ici au cri et à ses multiples modulations.

« Le cri peut exprimer une large palette d’émotions, observe Flora Détraz. Nous pouvons crier de désarroi, de désespoir, de rage, d’horreur, de peur, d’effroi, de surprise ou de plaisir. Je voudrais étudier différents types de cri dans plusieurs cultures et contextes, établissant ainsi un catalogue de cris définis par leurs sonorités, leurs nuances et ce qu’ils évoquent. Je voudrais explorer le trajet de ces cris dans le corps, la façon dont ils nous traversent et comment ils affectent l’espace autour de nous. »

Mobilisant notamment l’aventureux percussionniste Lê Quan Ninh, activiste majeur des musiques improvisées, et la créatrice sonore Claire Mahieux, le projet Hurlula va générer deux œuvres autonomes, un concert-performance et un film, qui pourront être présentées séparément ou en diptyque. Avec Autour d’Hurlula, incantations dans la forêt, Flora Détraz livre un premier aperçu de ce travail en cours via une excursion nocturne dans le Parc floral parsemée de différents gestes artistiques (installation vidéo, concert, DJ-set…).

Une autre marche prospective à travers bois peut être accomplie durant le festival avec Point Z, « performance documentaire » mise sur pied par la documentariste Ikram Benchrif et le danseur Paul Girard. Au carrefour de plusieurs disciplines artistiques ou scientifiques, leur fureteur cheminement commun s’est amorcé à la faveur du master d’expérimentation en arts politiques de Sciences Po (Speap), créé en 2010 par Bruno Latour. Point Z constitue la troisième restitution publique de Cherche forêt, une « enquête sensible » menée pendant trois ans sur le territoire du bois de Vincennes par le binôme. Ce projet au long cours résulte d’une carte blanche donnée aux deux artistes par la compagnie Parc du chorégraphe Pierre Pontvianne, dans le cadre de son association avec l’Atelier de Paris sur la période 2021-2024.

Gratuite, la marche – environ une heure et demie – s’effectue en fin de journée, avant la tombée de la nuit, et relie l’Atelier de Paris au Point Z, vaste terrain de 5 000 mètres carrés semé à la main – pour la première fois – en octobre dernier pour les besoins du projet. Les personnes qui y prennent part sont équipées d’un casque audio et peuvent ainsi écouter une bande sonore se composant de différents sons, humains ou non humains, récoltés dans le bois de Vincennes. Une voix off conductrice nous accompagne tout au long du parcours.

Joliment buissonnière, cette insolite expérience vise à faire affleurer la dimension fictionnelle du bois de Vincennes autant qu’à aiguiser la perception sensorielle que l’on peut avoir de ce territoire. Une exposition photographique documentaire est présentée en complément dans le foyer de l’Atelier de Paris.

Désastre écologique et légèreté ludique

Enfin, le danseur et chorégraphe Tidiani N’Diaye, originaire du Mali et installé à Paris, aborde, quant à lui,le rapport àla nature par le biais de la pollution plastique avec Fila Fila Manani. « Il n’y a pas de déchetteries ni de moyens de recyclage au Mali, nous explique Tidiani N’Diaye. De grands tas d’ordures s’amoncellent dans les rues. Ce problème existe ailleurs en Afrique et concerne le monde entier. Nous produisons et accumulons de plus en plus de déchets qui se dispersent ensuite dans la nature. Les océans sont envahis par le plastique. »

Prenant pour cadre une scène jonchée de sacs plastiques colorés, au sein de laquelle deux corps se débattent et tentent de surnager, Fila Fila Manani – dont la création a eu lieu en début d’année – parvient à évoquer ce désastre écologique avec une certaine légèreté ludique, sans pesanteur didactique. Conçue et interprétée en duo par Tidiani N’Diaye avec la danseuse (sourde) Thumette Léon, la pièce – qui fait partie d’un projet de fond mené depuis trois ans par l’Atelier de Paris avec des personnes sourdes ou malentendantes – intègre des éléments de la langue des signes dans son vocabulaire chorégraphique et soulève aussi la question de l’attention à l’autre. Visant un public familial, elle fait directement écho à Mer plastique, pièce de groupe (pour cinq interprètes) que Tidiani N’Diaye vient également de créer mais qui ne figure pas au programme de June Events.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Spectacle vivant
Temps de lecture : 7 minutes