« Le gouvernement tire à l’arme de guerre sur notre contrat social »
L’artiste visuel et activiste Joanie Lemercier a projeté un message de soutien aux Soulèvements de la Terre, mardi 20 juin au soir sur la façade de l’Assemblée nationale, alors que la dissolution du mouvement a été annoncée ce matin en conseil des ministres.
Six mots qui surplombent les douze colonnes de l’Assemblée nationale : « On ne dissout pas un soulèvement ». Pendant quelques minutes, avant qu’il ne soit repéré par les services de sécurité du Palais Bourbon, l’artiste visuel et activiste, Joanie Lemercier, a affiché un puissant message de soutien au mouvement écologiste. C’était mardi 20 juin, la veille du conseil des ministres où l’annonce de la dissolution des Soulèvements de la Terre a été prononcée. Une action symbolique pour montrer que les contre-pouvoirs ne se tairont pas, même face à la répression toujours plus grande qu’Emmanuel Macron leur inflige.
Pourquoi avoir choisi l’Assemblée nationale pour réaliser cette action en soutien aux Soulèvements de la terre ?
Joanie Lemercier : Le palais de l’Élysée et le ministère de l’Intérieur sont des lieux beaucoup plus critiques. Je pense que j’aurais passé la nuit en garde à vue. Et puis l’Assemblée nationale est symbolique en tant que lieu dont le pouvoir a été retiré par l’exécutif – on l’a vu avec la réforme des retraites. Afficher, comme je l’ai fait mardi soir, que la dissolution d’un soulèvement n’est pas possible sur la façade d’un bâtiment qui incarne, désormais, le narcissisme autoritaire d’Emmanuel Macron, renvoie un signal compréhensible par toutes et tous. Aussi, le lieu se prête bien à la projection avec ce pont devant l’édifice. Il m’a fait gagner quelques minutes avant l’arrivée de la police.
Justement, comment s’est passée votre action ?
J’ai d’abord fait du repérage pour calculer la distance de projection et observer les ombres portées. Une fois cette préparation terminée, j’ai sorti mon matériel et j’ai fait une projection qui a duré moins de cinq minutes. Des photographes sont venues avec moi et ont voulu documenter mon travail. La police est arrivée, m’a contrôlé et m’a laissé partir. Je n’ai jamais eu de difficulté avec les forces de l’ordre – aussi parce que je suis un homme, blanc, d’une quarantaine d’années. Il faut dire aussi que le statut d’artiste est assez respecté. Parfois trop, notamment lorsque LVMH privatise le pont Neuf ! J’ai vu un kiné se faire refuser l’accès alors qu’il devait intervenir pour une personne âgée. Pourquoi ? Parce que Jay Z et Pharell Williams faisaient leur balance. C’est scandaleux.
Avant l’Assemblée nationale, vous avez collaboré plusieurs fois avec Extinction Rebellion, en Angleterre et Ende Gelände, en Allemagne puis Dernière Rénovation, en France. D’où vient cet engagement ?
En tant qu’artiste numérique, j’ai toujours fait des projections dans l’espace public. Mais pendant longtemps, j’étais dans ma bulle d’artiste. Tranquille, mais coupé du monde. Il y a quatre ans, je suis allé voir la première mine de charbon d’Europe, la mine de Hambach, en Allemagne. Sur place, j’ai constaté un trou gigantesque. Il faisait 8 kilomètres sur 5 de large. Un passage à la Mad Max. Cette industrie du charbon rase les forêts, les villages, les églises. J’étais tellement bouleversé que lorsque je suis rentré, une forme d’activisme s’est imposée dans mon travail. Depuis ce moment-là, j’assiste certains militants dans leurs actions en créant des images, par la photographie ou par des systèmes de projection. Je veux amplifier leur message pour qu’il soit connu de toutes et tous.
Qu’est-ce qui vous choque dans la dissolution des Soulèvements de la terre ?
C’est la violence avec laquelle le gouvernement s’attaque à ce qui fait tenir notre société. J’étais à Sainte-Soline. Autour de moi, il y avait des poussettes, des enfants, des personnes âgées. On nous a tiré dessus de manière continue. Des grenades mutilantes sont tombées à côté de moi. J’ai vu des gens partir en civière, avec un œil ou une main en moins. Avec une telle violence, le ministère de l’Intérieur détruit la légitimité du pouvoir politique. La dissolution des Soulèvements de la Terre se situe dans cette continuité. Se faisant, le gouvernement détruit ce qui fonde notre démocratie. Il tire à l’arme de guerre sur notre contrat social.
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