Autopsie d’une boîte de thon

Bien pratique pour garnir les salades d’été et les sandwichs, ce poisson en conserve est issu d’une pêche néfaste sur les plans écologique, économique et social. Explications.

Vanina Delmas  • 19 juillet 2023 abonné·es
Autopsie d’une boîte de thon
Les populations de thons pourraient s’effondrer dès 2025 : l’albacore est classé comme « surpêché » depuis 2015, le thon obèse depuis 2022.
© Vanessa Martineau

1 – Du thon de l’autre bout du monde

Les thons albacore, listao ou obèse représentent 95 % des captures thonières mondiales. La plupart des miettes de thon présentes dans les assiettes françaises proviennent de l’océan Indien et de l’océan Pacifique. Mais les populations de ces thons pourraient s’effondrer dès 2025 : l’albacore est classé comme « surpêché » depuis 2015, le thon obèse depuis 2022. Selon Frédéric Le Manach, directeur scientifique de Bloom, cité par Libération (le 13 avril 2023), entre 300 000 et 400 000 tonnes annuelles de thon sont pêchées au large par des bateaux européens – ou sous capitaux européens mais immatriculés localement.

2 – Une pêche industrielle et polluante

Le thon tropical est ciblé par des « dispositifs à concentration de poissons », les DCP. Ces radeaux cachent des filets pour attraper les nombreuses espèces de poissons qui s’agrègent sous les objets flottants. Utilisée par les pêcheurs artisans depuis des siècles, cette méthode a été dévoyée par les senneurs industriels, qui y ont ajouté des balises GPS et satellite, ainsi que des sondeurs pour connaître le volume de poissons piégés. Mais ce système n’est pas sélectif : les DCP capturent énormément de juvéniles et des espèces sont prises au piège, comme les tortues, les requins ou les raies. Sans oublier les pollutions dramatiques engendrées par l’abandon volontaire de ces radeaux dans les mers.

La majorité du thon labellisé viendrait finalement de pêches industrielles à fort impact écologique.

3 – Mieux consommer ? Attention aux labels

De 2017 à 2020, Greenpeace a réalisé des classements des marques de boîtes de thon selon leur engagement dans la pêche durable. Avec le recul, l’ONG estime que tout le monde s’est caché derrière des labels, notamment MSC (Marine Stewardship Council), pour éviter toute discussion de fond. Le label MSC a été créé en 1997 par Unilever et le WWF pour développer une solution de marché aux problèmes de surpêche. Selon plusieurs études d’ONG et de scientifiques, ce serait une imposture et un cas d’école de greenwashing : le cahier des charges serait trop peu contraignant et la majorité du thon labellisé viendrait finalement de pêches industrielles à fort impact écologique. Les alternatives durables existent, mais sont rares : vous pouvez miser sur le thon germon pêché à la canne de la marque Connétable, ou acheter via Poiscaille, l’Amap de la pêche. Mais le meilleur moyen de préserver les populations de thon est de moins en manger.

4 – Les droits humains en boîte

Traite des êtres humains, violences physiques et verbales, servitude pour dettes, travail d’enfants : un rapport de Bloom de mai 2023 révèle que toute la filière de l’industrie du thon viole les droits humains les plus fondamentaux, que ce soit sur les bateaux de pêche en Afrique et dans l’océan Pacifique ou dans les usines de transformation d’Asie du Sud-Est et d’Amérique centrale, où travaillent beaucoup de femmes. Pour Bloom, « les institutions européennes doivent veiller à ce que les produits vendus sur le marché de l’UE ne soient pas associés à des violations des droits des travailleurs et de l’environnement », et « les mesures existantes sont sévèrement lacunaires ».

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