Depuis huit semaines, 50 femmes et enfants dorment dans un gymnase lyonnais

Juliette Murtin, militante à Jamais sans toit et bénévole du collectif Solidarité entre femmes à la rue, raconte leur quotidien.

• 23 août 2023
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Depuis huit semaines, 50 femmes et enfants dorment dans un gymnase lyonnais
« Dorénavant, sur les ménages recensés à la rue, un tiers sont des femmes seules avec enfants. »
© Raphaël Vulliez.

À Lyon, 149 enfants, dorment à la rue. 328, dont 34 bébés, sont sans hébergement dans la métropole. Face à ce constat et à l’invisibilisation des femmes sans abri, avec deux militantes du Droit au logement, nous avons créé le collectif Solidarités entre femmes à la rue et organisons des réunions en non-mixité. À chaque réunion, c’est un déferlement de femmes dans la détresse la plus absolue, venant de tous les horizons : certaines sont hébergées par un tiers à la suite de violences conjugales, d’autres survivaient dans un campement évacué, comme celui de la place de Milan, près de la gare Part-Dieu, fin juin. Des femmes seules ou avec des enfants, parfois de quelques mois.

Elles venaient demander des solutions aux collectifs présents, le nôtre et ceux qui nous ont rejointes : Planning familial du Rhône, Intersquat, collectif Soutiens / Migrants Croix-Rousse. Parce que l’État ne leur en propose pas. Pourtant, être une femme engendre un risque de mal-logement deux fois plus important. Le statut de mère isolée est beaucoup moins protecteur que par le passé, quand ces publics vulnérables étaient pris en charge en urgence. Dorénavant, sur les ménages recensés à la rue, un tiers sont des femmes seules avec enfants. Et lorsqu’il y a des solutions d’hébergement, elles sont surtout pensées pour un public masculin : les dispositifs sont inadaptés aux problématiques des femmes. C’est ce que décrit très précisément le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre.

Être une femme engendre un risque de mal-logement deux fois plus important.

Face à ces multiples situations de sans-abrisme, inquiètes à l’approche des grandes vacances, nous n’avons pas eu d’autre choix que d’occuper le gymnase Bellecombe, dans le 6e arrondissement, le 22 juin dernier. Le soir même, la mairie a constaté notre occupation et nous a dit que notre présence était tolérée, tout en limitant le nombre de personnes autorisées. Plus de huit semaines après, aucune proposition concrète de relogement n’a été avancée. Une cinquantaine de personnes, dont une trentaine d’enfants, vivent dans un gymnase qui cumule des problématiques graves d’accès au soin, à l’hygiène, à l’intimité, aux loisirs.

Nous pensions que la Ville mandaterait un opérateur social agréé pour s’occuper de la gestion humanitaire, mais nous avons été livrées à nous-mêmes. Il a fallu gérer les repas, avant d’orienter les familles vers les structures existantes comme les Restos du cœur ou l’Armée du Salut. Nous avons dû nous occuper des démarches administratives et des problèmes de santé, après plusieurs vagues de conjonctivite, de gastro-entérite ou de grippe. Fin juillet, la mairie nous a envoyé des lits de camp… Ces derniers jours, nous faisons à nouveau face à la canicule et à une chaleur accablante dans le gymnase. Jusqu’à quand cette situation va-t-elle continuer ?

Carte blanche femmes gymnase Bellecour
« Toutes les femmes et les enfants doivent trouver un hébergement digne et pérenne. » (Photo : Raphaël Vulliez.)

Lundi 21 août, nous avons pu rencontrer l’adjointe aux solidarités de la mairie, Sandrine Runel. Elle a annoncé que des propositions de relogement seraient faites dans les prochains jours. Mais on ignore combien de familles seront concernées, pour quel type d’hébergement, pour combien de temps, etc. Elle a insisté sur le fait que l’hébergement d’urgence dépendait de l’État et donc de la préfecture, sur laquelle la mairie essaie de mettre la pression. Cependant, de son côté, la municipalité peut faire beaucoup de choses, comme mettre à disposition du patrimoine municipal ou prendre des arrêtés anti-expulsion. L’adjointe a dit qu’ils réfléchissaient à des réquisitions, et laissé entendre que la préfecture allait distribuer les hébergements en fonction de la situation administrative des familles. C’est illégal.

Nous occuperons ce gymnase jusqu’à ce que tout le monde soit relogé.

Le droit à l’hébergement est inscrit dans la loi et est régi par un principe fondamental : l’inconditionnalité. Toutes les femmes et les enfants doivent trouver un hébergement digne et pérenne. Notre position est claire : nous occuperons ce gymnase jusqu’à ce que tout le monde soit relogé. La mairie nous a promis qu’il n’y aurait pas d’expulsions. Mais elle a aussi précisé qu’elle voulait récupérer les lieux dans les semaines qui viennent, en évoquant la rentrée des classes. La municipalité écologiste doit se démarquer clairement de la désastreuse politique nationale d’accueil des sans-abri et la dénoncer avec fermeté. Nous comptons sur la troisième ville de France pour donner l’exemple en matière d’hospitalité et de solidarité.

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