L’arnaque JDD

La lecture de la quatrième livraison du Journal du dimanche version Bolloré le confirme : le titre est devenu, avec son label rassurant, une redoutable machine de guerre idéologique entre les mains de l’extrême droite.

Denis Sieffert  • 30 août 2023
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L’arnaque JDD
Une réunion de soutien aux salariés du Journal du Dimanche (JDD), organisée par Reporters sans frontières au Théâtre Libre, à Paris, le 27 juin 2023.
© Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Cette quatrième livraison du Journal du dimanche version Bolloré commence par un attrape-nigaud. Dans n’importe quel journal digne de ce nom, un titre de une comme ce « Attal à l’offensive », illustré d’une photo pleine page du ministre de l’Éducation nationale et renforcé d’un tapageur « exclusif », annoncerait un grand entretien. Mais rien de tel ici. Tout juste l’indigeste « jus de crâne » d’un ancien de Valeurs actuelles. À ceux qui ne verraient pas la différence, entre l’ancien et le nouveau, elle est là, dans cet absolu mépris pour la déontologie la plus élémentaire. Car visiblement, après avoir délégué dans les pages de ce qui ressemble désormais à un brûlot d’extrême droite sa secrétaire d’État à la Ville, Macron n’a pas encore donné son feu vert aux poids lourds du gouvernement, dont Attal fait partie. Cela, sans doute, ne tardera pas.

Le président lui-même n’avait-il pas accordé, en octobre 2019, un long entretien à Valeurs actuelles dirigé alors par Geoffroy Lejeune, celui-là même qui vient de prendre les rênes du JDD ? Le thème en était l’immigration et l’islam. Un thème que l’on retrouve à toutes les pages ou presque du quotidien du septième jour. À commencer par la dénonciation de l’abaya, promue « priorité » de la rentrée scolaire. Cette longue tunique ou robe portée par les femmes dans les pays musulmans, qu’il est – nous dit-on – urgent d’interdire dans nos établissements scolaires. Attal ne donne pas encore d’interview au JDD, mais cela n’exclut pas une certaine osmose idéologique : le soir même sur TF1, le ministre annonçait l’interdiction de l’habit jugé incompatible avec la laïcité.

Toutes les pages sont imprégnées d’une islamophobie et d’une xénophobie rampantes.

On devine que la question est moins celle de l’abaya (phénomène ultra-minoritaire) que du signal donné à la droite et à l’extrême droite d’une nouvelle offensive antimusulmane. Le JDD fait le job. Toutes ses pages sont imprégnées d’une islamophobie et d’une xénophobie rampantes. Au sommaire, un retour sur les émeutes de fin juin, un reportage sur les « crackeux » du nord de Paris – pour la plupart « des étrangers en situation irrégulière » –, un autre sur le trop-plein d’immigrés en Corse, et le portrait d’un narcotrafiquant prénommé Sofiane. Entendons-nous bien : ce n’est pas tant que ces informations soient fausses, c’est leur caractère obsessionnel qui frappe. Leur effet de masse.

On en sourirait presque quand l’obsession xénophobe gagne la rubrique sportive où le laborieux Jacques Vendroux (un journaliste « complice » a dû lui prêter sa plume) regrette le temps béni où nos entraîneurs de foot étaient tous français. J’en passe et des meilleurs. Et soudain, un intrus : Fabien Roussel qui bénéficie d’un portrait dangereusement laudatif. Le baiser de Judas de la presse Bolloré ? Côté international, le très poutinien, et admirateur de Bachar Al-Assad, Régis Le Sommier nous propose deux pages de biographie d’Evgueni Prigojine, au détour desquelles il réintègre discrètement le Donbass dans la fédération de Russie. Pour clore le tout, le lecteur a droit à une longue chronique littéraire signée Éric Naulleau, qui fut longtemps le comparse d’Éric Zemmour à la télé, et à un billet de la star du bollorisme médiatique, Pascal Praud.

Mais, reconnaissons-le, l’imitation est parfaite. Un lecteur du JDD peu averti n’y verra que du feu. Tout le problème est là. Le lecteur de Valeurs actuelles sait ce qu’il achète. Celui du JDD est trompé dès la première page. J’entends bien que Le Journal du dimanche de Lagardère n’était pas un journal de gauche. On se souvient du plaidoyer peu scrupuleux de son ancien directeur de la rédaction, Hervé Gattegno, en faveur de Sarkozy dans l’affaire du financement libyen de sa campagne de 2007. Mais, bon an mal an, Le JDD remplissait son office. Même Jean-Luc Mélenchon a eu droit à quelques grands entretiens. Il fallait donc soutenir les grévistes sans restriction.

La liberté de la presse, ce n’est pas seulement défendre les journaux de notre sensibilité.

La liberté de la presse, ce n’est pas seulement défendre les journaux de notre sensibilité. Tel qu’il se présente aujourd’hui, Le JDD est une redoutable machine de guerre idéologique entre les mains de l’extrême droite, non pas tant par ce qu’il diffuse de peur et de haine qu’en raison du label rassurant dont il couvre sa propagande. Qui de Darmanin, de Le Pen, de Zemmour en profitera ? Sans oublier Wauquiez. Le JDD ne l’oublie pas. Jusqu’au ridicule. Dans les événements « à suivre » dans la semaine, il nous annonce que, le 3 septembre, Wauquiez gravira le mont Mézenc, « point culminant de l’Ardèche et de la Haute-Loire ». Plus haut que la roche de Solutré…

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