Ordre viriliste

Écrasement de la jeunesse suite à la mort de Nahel, grandes manœuvres militaires indo-pacifiques, coup de grâce porté à la Kanaky… Cet été, les motifs de rester en alerte face aux postures martiales et virilistes n’ont pas manqué.

Nacira Guénif  • 30 août 2023
Partager :
Ordre viriliste
Emmanuel Macron devant la statue du leader anti-indépendantiste de Nouvelle-Calédonie Jacques Lafleur et le leader du mouvement indépendantiste kanak Jean-Marie Tjibaou, à Nouméa (Nouvelle-Calédonie), le 26 juillet 2023.
© Ludovic MARIN / AFP

Cet été, les motifs de rester en alerte n’ont pas manqué. Absent des objectifs fixés pour le reste du quinquennat, le sens des révoltes déclenchées par la mort de Nahel M. aux mains de la police s’est vu opposer le rappel à « l’ordre, l’ordre, l’ordre » plutôt qu’un appel à l’écoute d’une demande impérieuse de justice et de lutte contre le racisme systémique. Depuis Nouméa, dans une posture tout érigée, l’État, en la personne de son chef, n’a pas voulu tirer les leçons du fiasco des politiques de la ville depuis un demi-siècle. Celui-ci était pourtant annoncé par le parti pris de recycler des méthodes rapatriées de l’ordre colonial : ségrégation, surveillance, spoliation. Ségrégation spatiale et raciale, surveillance de la population, spoliation des droits fondamentaux, dont celui à la vie. Les recouvrir d’un vernis social superficiel ne fait plus illusion depuis longtemps.

En vérité, la question est désormais de savoir s’il s’agit d’un fiasco ou d’une réussite éclatante. S’il y a eu des manquements et démissions au regard de ce que ces politiques devaient réaliser. Ou si elles ont accompli parfaitement le dessein assumé d’un État qui demeure imprégné autant d’absolutisme que de colonialité : mettre au pas les Français·es descendant·es de colonisé·es. Le mépris affiché au terme de cette séquence tragique, et traduit par un tour d’écrou autoritariste, plaide en faveur de cette dernière vision. Mais passons, comme le font les ministres pris·es au piège du jeu de chaises musicales.

L’équation « masculin singulier » n’a pas d’inconnue, elle est la clé bien huilée de ce rébus infernal.

Pendant ce temps, d’autres scènes impérialistes se jouent aux antipodes. Sous l’étrange appellation de « Talisman Sabre », l’opération militaire conjointe de treize nations, dont la France, dans le Pacifique Sud a fait beaucoup de bruit. Aucun bâtiment, aucun alignement de hauts gradés n’a été négligé. Des voix en Australie et ailleurs s’élèvent pour décrier l’ampleur et le coût, l’esprit et la lettre d’une telle démonstration de force qui exacerbe les postures martiales, remet le nucléaire au centre du jeu, efface ainsi la mémoire du Rainbow Warrior et incite à bomber le torse dans une région qui n’a pas besoin d’un surcroît de tension. S’il s’agit de conjurer le pire, comme l’idée du talisman le suggère, c’est mal engagé.

Tout en insistant sur la sienne, d’opération, « Pégase », l’une pouvant cacher l’autre, la France y participait, en voisine, grâce à son maintien en Nouvelle-Calédonie qu’elle entend pérenniser coûte que coûte, par la voix même de son président. Il y parachève le travail mené au pas de charge par son intendance et assène des vérités définitives sur la nécessité impérieuse de cette présence, fût-elle fondée sur un rayonnement colonial. Sans un mot sur le processus d’autodétermination du peuple kanak. Dans tout ce brouhaha viriliste et martial, on oublia presque que le football féminin jouait sa partie, en mode mineur, à quelques encablures du ballet des navires de guerre dans la baie de Sydney. L’écrasement d’une jeunesse, les grandes manœuvres indo-pacifiques, le coup de grâce porté à la Kanaky, le foot féminin en mode mineur… Un inventaire à la Prévert ? Peut-être pas. L’équation « masculin singulier » n’a pas d’inconnue, elle est la clé bien huilée de ce rébus infernal.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Le ressentiment, passion triste et moteur des replis identitaires
Société 29 juillet 2025

Le ressentiment, passion triste et moteur des replis identitaires

Dans ce texte puissant et lucide, l’historien Roger Martelli analyse les racines profondes d’un mal-être né des blessures sociales et de l’impuissance à agir. À rebours des discours simplificateurs, il en retrace les usages politiques, notamment dans la montée des extrêmes droites, qui savent capter et détourner cette colère refoulée vers l’exclusion et la stigmatisation de l’autre.
Par Roger Martelli
« Émotions et politique » : une sélection pour compléter notre numéro spécial
Sélection 29 juillet 2025

« Émotions et politique » : une sélection pour compléter notre numéro spécial

Des livres et des podcasts à lire et écouter, en complément du numéro d’été de Politis, consacré aux émotions qui innervent la politique.
Par Politis
Quand la colère ne suffit pas
Analyse 29 juillet 2025

Quand la colère ne suffit pas

L’historien Roger Martelli interroge les limites d’une mobilisation fondée sur la conflictualité, à travers une lecture critique de la stratégie populiste de gauche inspirée par Chantal Mouffe et adoptée notamment par Jean-Luc Mélenchon.
Par Roger Martelli
De la honte à la lutte : émotions décoloniales et engagement collectif
Intersections 25 juillet 2025

De la honte à la lutte : émotions décoloniales et engagement collectif

Comment transformer un sentiment intime et paralysant en force politique ? Juliette Smadja explore le rôle de la honte dans les parcours militants décoloniaux. À travers ses expériences et ses lectures, elle interroge la place des émotions dans l’engagement politique et appelle à dépasser la culpabilité blanche pour construire une lutte ancrée dans l’action.
Par Juliette Smadja