J’ai honte de mon pays

La France a décidé de rompre toute coopération avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Un étrange, absurde, dessein criminel contre le savoir et la culture.

Rose-Marie Lagrave  • 27 septembre 2023
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J’ai honte de mon pays
Un jeune garçon avec un drapeau du Niger, lors du rassemblement des partisans du Conseil national de sauvegarde de la patrie (CNSP) devant la base aérienne du Niger et de la France pour exiger le départ de l'armée française du Niger, à Niamey, le 16 septembre 2023.
© AFP

Par petites touches successives et convergentes qui font les grands océans glauques, réactionnaires et liberticides, pas de jour qui ne voie des restrictions de libertés, à vous ficher une fois de plus la honte d’être française. La honte, parce que ceux et celles que nous sommes censé·es avoir démocratiquement élu·es bafouent en notre nom les idéaux de la Révolution française de 1789. En apprenant début septembre que, « sur instruction du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, il a été décidé de suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute coopération avec les pays suivants : Mali, Niger, Burkina Faso » et que, « par conséquent, tous les projets de coopération qui sont menés par vos établissements ou vos services avec des institutions ou des ressortissants de ces trois pays doivent être suspendus, sans délai, et sans aucune exception », j’ai cru à un canular.

En 2016, c’est à Bamako que nous avons inauguré la première session de l’école doctorale en sciences sociales itinérante, comprenant des étudiants des pays de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb, soutenue par des instituts français, tel l’IRMC de Tunis, dépendants du ministère des Affaires qualifiées désormais d’« étranges ». Étrange, absurde, dessein criminel contre le savoir et la culture. La logique d’accueil et de soutien aux étudiants, aux universitaires et aux artistes dont peut s’honorer le monde universitaire et culturel vient d’être brisée. En prenant en otages trois pays – ce qui ressemble à une action de rétorsion à l’égard de leur rejet de la France –, la politique étrangère rompt avec les coups de pouce et les coups de main qu’elle avait donnés durant l’histoire récente, parfois sous le boisseau.

La longue histoire d’une tradition de coconstruction des savoirs et du métissage des cultures ne souffre d’aucune exception.

Que l’on songe à la mobilisation pour les intellectuels chiliens et en faveur des militants de Solidarność,
à la création du Comité international de soutien aux intellectuels algériens, présidé par Pierre Bourdieu, ou au Parlement des écrivains de Jacques Derrida. Plus récemment, le programme national d’aide à l’accueil en urgence des scientifiques et artistes en exil (Pause), dont a bénéficié Pınar Selek, plaidait en faveur d’une continuité politique responsable. Régression indigne. La longue histoire d’une tradition de coconstruction des savoirs et du métissage des cultures ne souffre d’aucune exception : son moteur, sa bible, sa matrice, c’est la circulation internationale des idées et des projets artistiques.

Amputer son aire d’action et d’élection en effaçant trois pays de la carte culturelle, c’est mettre un pied politique dans les échanges universitaires et artistiques. Désigner ainsi à la vindicte trois pays africains est une décision raciste ; en refusant les visas aux plus prédisposé·es à mettre en critique la classe politique de leur pays, la France prête main-forte aux gouvernants de ces pays, en exposant plus dangereusement encore les contestataires, et nous empêche d’exercer notre métier de transmission et de partage des savoirs. Ce décret indigne ne passera pas par moi. Étudiantes et étudiants, on ne vous lâchera pas.

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