Les histoires d’amour se passent, en général
Dans son nouveau roman, François Bégaudeau traite de l’expérience amoureuse telle que, selon lui, beaucoup de gens la vivent : on traverse l’existence côte à côte « sans crise ni événement ». L’ouvrage témoigne d’une vraie acuité sociologique sur la consommation et les pratiques culturelles, mêlées à la vie conjugale.
dans l’hebdo N° 1775 Acheter ce numéro

"T’aurais pu être écrivain, lui dit un jour Aline. Peut-être mais pour raconter quoi ? » Rien d’autre, précisément, que la routine : car la plupart des histoires d’amour se passent d’événements. C’est ce que François Bégaudeau, dans ce très beau livre de la rentrée littéraire qu’est L’Amour, choisit de raconter. Jeanne et Jacques, les époux Moreau, vont s’aimer sans se consumer d’amour, compagnons mais pas vraiment éperdus ; ainsi va la vie, les « printemps qui reviennent et qui repartent (1) ». Le modèle romantique de la passion, celui, par exemple des Fragments d’un discours amoureux ou des Souffrances du jeune Werther, est renvoyé au statut d’exception. L’amour, bien au contraire, nous semble une modalité de la vie, douce au point de faire corps avec le temps qui passe et d’être, pour la plupart des gens, le mouvement dans lequel ils traversent l’existence.
Du temps et de la vie : Jeanne et Jacques ne parlent que de cela, leur histoire est toute littérale, toute collée aux états du petit monde des Pays de la Loire qu’ils habitent. Une canalisation remplacée, la clientèle d’un restaurant, un match de basket… Jamais d’incendie dans ces conversations, on parle du monde et, surtout, des choses. Ces deux-là se sont en effet rencontrés dans la France pompidolienne, à l’époque où l’on prête allégeance à la société de consommation, mondialisée, standardisée. Nanti d’un pouvoir d’achat honorable, on se rend dans les Jardiland, les Monsieur Meuble, on est client de cette massification des produits culturels qui sacre Claude François, Serge Lama, Angélique, marquise des anges, Robert Redford ou Richard Cocciante.
Bégaudeau se livre avec brio à cet exercice de sociologie des pratiques de consommation et des pratiques culturelles – on reconnaît ce fameux mousseux consommé comme ersatz du champagne, dont Christiane et Claude Grignon, dans leur étude des styles d’alimentation, avaient souligné l’importance pour les classes populaires. Mais Bégaudeau montre plus largement comment la mise en couple et les rituels de conjugalité héritent des modes de régulation du capitalisme. À l’époque, les unités productives
Il vous suffit de vous inscrire à notre newsletter hebdomadaire :
Pour aller plus loin…

Bouffer du curé susciterait-il moins d’appétit ?

« Sans le féminisme, les hommes ne se comprennent qu’à moitié

Italo Calvino, la littérature à plein temps
