« La Mémoire délavée », la gloire de mes grands-parents

Nathacha Appanah met au jour la réalité qui fut celle des coolies sur l’île Maurice.

Christophe Kantcheff  • 24 octobre 2023 abonné·es
« La Mémoire délavée », la gloire de mes grands-parents
La démarche de l'autrice est profondément éthique : elle énonce ses scrupules, cherche le regard juste
© Joël Saget / AFP

La Mémoire délavée / Nathacha Appanah / Mercure de France / 150 pages, 17,50 euros.

Longtemps, Nathacha Appanah a cru en des informations fausses à propos de ses aïeux. Elle savait qu’ils étaient des engagés indiens, des « coolies », dans les champs de canne à sucre de l’île Maurice, où elle est née. Mais elle pensait qu’ils étaient arrivés au début du XXe siècle. Ce n’est qu’en 2022 qu’elle prend connaissance de trois fiches aux archives mauriciennes de l’immigration indienne qui attestent du débarquement en 1872 de ses trisaïeuls, un homme et une femme accompagnés de leur fils. De sa méconnaissance du passé familial, elle donne des explications : l’invisibilité de l’engagisme, qui a vu maints peuples émigrer pour travailler là où les esclaves n’étaient plus après leur libération ; et les limites de l’oralité, données et anecdotes se perdant au fil des générations. D’où le titre de son livre, La Mémoire délavée.

La Mémoire délavée / Nathacha Appanah

Voici donc la romancière – autrice notamment de Rien ne t’appartient (Gallimard, 2021), son dernier roman en date – décidée à rendre à cette mémoire ses couleurs et ses reliefs, en abandonnant la fiction mais en écartant tout « exotisme », d’où son écriture sobre et précise. La Mémoire délavée est passionnant d’abord pour cette raison : comment fait l’autrice pour combler ce qui s’est perdu et tisser un fil narratif.

Humiliations successives

Elle creuse dans ses souvenirs, qui remontent à ses grands-parents, marqués à jamais par la vie de coolies, interroge ses parents, inspecte des livres d’histoire. Sa démarche est profondément éthique : elle énonce ses scrupules, cherche le regard juste : « Peut-être que ce récit est trop marqué par la relation avec mes morts », note-t-elle, par exemple.

Nathacha Appanah avance cependant dans la connaissance des conditions de vie de ses aïeux et de ses grands-parents. Elle constate que le « respect mutuel » évoqué par un descendant de coolies pour parler des relations entre les travailleurs et les patrons (des Européens) est une illusion : le rapport est colonial et fait d’humiliations successives. D’où l’acte de révolte que commet un jour son grand-père, et qui a déterminé la suite de sa vie (et celle de sa femme), y compris au sein de sa communauté. Avant d’écrire La Mémoire délavée, Nathacha Appanah était fortement attachée à ses grands-parents, qui s’étaient montrés aimants avec elle. Au terme de ce livre, le lecteur sent qu’à son amour s’est adjointe une vive admiration pour avoir non seulement résisté aux fortes épreuves qu’ils ont rencontrées mais pour l’avoir fait à la manière de belles personnes.

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Littérature
Temps de lecture : 2 minutes