Le roman national rabougri de la Cité de l’histoire

L’établissement dirigé par Franck Ferrand a ouvert ses portes en janvier dernier. Derrière ce nom grandiloquent, la droite dure présente un roman national rabougri mais étend en coulisses son influence dans le milieu culturel.

François Rulier  • 15 novembre 2023 abonné·es
Le roman national rabougri de la Cité de l’histoire
Une représentation au Puy du Fou, un parc fort apprécié par les dirigeants de la Cité de l’histoire.
© PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

La Cité de l’histoire accueille du public depuis bientôt un an. Créée à l’initiative de Franck Ferrand, son directeur, et de François Nicolas, fondateur et président d’Amaclio Productions (1), elle a pris ses quartiers à la Défense, dans les Hauts-de-Seine, dans les locaux de Viparis. Ce gestionnaire de sites a signé un bail de dix ans avec Amaclio Productions, société spécialisée dans la conception et la réalisation de spectacles sur des monuments, chargée de produire la Cité de l’histoire. Les financements sont essentiellement privés, à l’exception d’une subvention de 300 000 euros votée par la région Île-de-France en mai 2022 pour la réalisation d’une frise chronologique.

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Sollicités pour notre enquête, Amaclio Productions et François Nicolas n’ont pas donné suite.

La nomination de Franck Ferrand à la tête de la Cité pouvait déjà interroger : l’homme est connu pour des propos historiques erronés et dénoncés par la communauté universitaire, ainsi que pour ses liens avec la droite catholique et conservatrice (son amitié avec Christine Kelly, sa participation aux causeries de Châteauneuf-du-Pape en compagnie de l’animatrice de CNews et du LR François-Xavier Bellamy), voire avec l’extrême droite (il tient ainsi ­chronique dans Valeurs actuelles).

Des amitiés qui se retrouvent dans la communication sur X (ex-Twitter) de la Cité de l’histoire, et dont Libération s’est déjà fait l’écho cet été. Plusieurs des soutiens institutionnels et médiatiques de la Cité de l’histoire intriguent tout autant : Histoire TV, dirigée par Patrick Buisson de 2007 à 2018 et marquée à droite, le média Néo, dont l’actionnariat penche également à droite selon le site d’enquête La Lettre A, ou encore Le Parisien, propriété de Bernard Arnault, qui a fait placer Franck Ferrand à la tête du magazine Historia après son rachat par LVMH.

Une entreprise investie par l’extrême droite ?

Fondée en 2012, Amaclio Productions n’est pas en reste : de 2016 à 2017, le commissaire aux comptes titulaire n’est autre que Christian Baeckeroot, ancien député du Front national (FN) de 1986 à 1988, avant de rejoindre le Parti de la France, scission du FN, dès 2009 et d’en être le candidat en 2011 et 2017. Après 2017 justement, il est remplacé par le commissaire aux comptes suppléant, soit son propre frère, Guy Baeckeroot, pour un mandat de six ans.

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À côté du réseau de l’extrême droite électorale, Amaclio Productions bénéficie également d’une ouverture vers le catholicisme conservateur en la personne de Marie-Alix Doutrebente, qui compte parmi les premiers souscripteurs de l’entreprise. Permanente du Centre Charlier entre 1984 et 1988, organisation catholique traditionaliste dont le secrétaire général, Richard Haddad, était candidat FN aux municipales à Paris en 2001, ainsi que membre de Renaissance catholique de 1988 à 1989, Marie-Alix Doutrebente poste régulièrement sur X les propos de Christine Kelly, de l’avocat et polémiste Fabrice Di Vizio, des pourfendeurs du pape François et de Philippe de Villiers. Lequel est d’ailleurs présent en arrière-plan, en raison de la place importante occupée par le Puy du Fou : Thierry Retif, brillant metteur en scène pour la Cité de l’histoire, a beaucoup travaillé pour le parc vendéen, dont Franck Ferrand vantait la qualité dans Le Figaro en 2020.

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Des influences qui transparaissent dans quelques-uns des ouvrages en vente dans la librairie. Parmi les auteurs : Philippe de Villiers, la militante catholique traditionaliste Anne Bernet à propos de la chouannerie, ou encore l’Espagnol Pío Moa, qui propage les arguments franquistes sur la guerre d’Espagne.

François Nicolas, un maître d’œuvre discret

Reste la figure du président et fondateur d’Amaclio Productions : François Nicolas. Assurément, l’homme est plus discret que son acolyte Franck Ferrand. Cependant, lorsque François Nicolas s’exprime seul, ses propos précis, son verbe assuré et son sens de la formule captent l’attention. En mai dernier, il a présenté son parcours à l’association des anciens scouts d’Europe, le Rasso. Un parcours marqué par la religion. Lorsqu’on lui demande ce que le scoutisme lui a apporté, l’homme a une réponse incisive : « la foi ». Tout en ajoutant qu’il a conservé un cercle amical solide dans le milieu des scouts d’Europe. La dernière question posée interroge sur les affinités idéologiques du président d’Amaclio Productions. Quelle citation le guide ? « Elle choque aujourd’hui dans ce monde très démocratique : ‘Si tous, pas moi (2).’ »

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Devise des seigneurs de Clermont (XIIe siècle), inspirée de l’Évangile de Matthieu (formule attribuée à saint Pierre).

Des penchants qui pourraient expliquer son intégration au monde culturel par l’intermédiaire de la famille de Villiers. Avant de s’y lancer, François Nicolas possédait une société de conseil en stratégie opérationnelle sur les questions énergétiques, dans laquelle travaillait «l’un des fils de Philippe» : Guillaume de Villiers. Par son truchement, il rencontre le père et se met à travailler pour le Puy du Fou.

Dans plusieurs entretiens, François Nicolas livre quelques indices sur sa vision de l’histoire et de son enseignement. Il reprend une rengaine classique de la droite : la chronologie aurait été délaissée. Il va plus loin dans un entretien à la revue Conflits : « L’histoire en France, ou devrais-je dire l’enseignement de l’histoire, est particulièrement polémiste pour ne pas dire idéologique. » Une transparence rare puisque, interrogé sur Sud Radio par l’éditorialiste Élisabeth Lévy sur le combat que porterait la Cité de l’histoire contre les «gens qui voudraient déconstruire, comme ils disent, l’histoire de France», François Nicolas esquive tandis que Franck Ferrand approuve sans insister.

Une cité du roman national ?

«Par mes livres et mon Puy du Fou, j’ai fait passer beaucoup plus d’idées qu’en restant la énième écrevisse de la bassine», affirmait Philippe de Villiers dans le magazine France. Il faut croire que François Nicolas, mis en selle par le plus connu des Vendéens, est parvenu à étendre la sphère d’influence de la droite conservatrice jusqu’à la Défense. Un combat « métapolitique » (cette bataille des idées chère au penseur d’extrême droite Alain de Benoist) face auquel le monde universitaire, lorsqu’il est seul, reste démuni.

Si Franck Ferrand invite d’excellent·es historien·nes dans les conférences de la Cité, il privilégie l’histoire de l’aristocratie. Quant à ses livres, ils continuent de se vendre bien plus que les travaux de recherche, tandis que les armes des historien·nes (3) ont peu de poids devant la beauté des spectacles proposés. Peut-être est-ce sur internet, dans la convergence entre chercheur·ses et une génération de vulgarisateur·ices de talent (Nota Bene, Histony, Manon Bril, Sur le champ, etc.), que se trouve désormais le remède.

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Lire Le Puy du Faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire, Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau et Mathilde Larrère, Les Arènes, 2022 et leur article sur Politis.fr sur le sujet.

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