« Kaldûn », le chœur battant de l’insurrection

Abdelwaheb Sefsaf réussit une puissante fresque musicale mêlant le récit de trois révoltes éclatant dans les années 1870 en France, en Kabylie et en Nouvelle-Calédonie.

Anaïs Heluin  • 22 novembre 2023 abonné·es
« Kaldûn », le chœur battant de l’insurrection
© Christophe Raynaud de Lage

Dans deux cages, une femme et un homme désignés par un troisième comme des « Kanaks » sont offerts aux regards. Au centre du plateau, une dizaine de comédiens et de musiciens, instruments en main, les observent. Avec cette scène, Kaldûn, d’Abdelwaheb Sefsaf, s’ouvre sur un amer constat d’échec. Ainsi représentée, l’Exposition universelle de Paris, en 1889, marque la faillite de l’une des trois luttes dont il va être question dans le spectacle : celle que porte la même année en Nouvelle-Calédonie Ataï, le chef de Komalé, contre l’accaparement des terres par le pouvoir colonial français. Cette introduction a beau annoncer aussi la défaite des deux autres insurrections que raconte Kaldûn – celle de la Commune en France en 1871 et celle de Cheikh El Mokrani, la même année, en Algérie, alors colonie française –, le spectacle ne s’éternise pas dans la douleur.

Kaldûn / Abdelwaheb Sefsaf / Théâtre des Quartiers d’Ivry (94), jusqu’au 26 novembre / Théâtre de Sartrouville (78), du 29 novembre au 2 décembre.

Bientôt, violon, flûte, oud, kanun ou encore duduk et pakou joués par des membres de l’ensemble Canticum Novum forment un chœur qui gronde mais qui apaise aussi et relie. Abdelwaheb Sefsaf est là pour faire le lien entre ces musiciens et les huit acteurs de la pièce. Par son chant mêlant avec art mots et sonorités des deux côtés de la Méditerranée, il se fait chef d’orchestre d’une grande traversée de l’histoire et des cultures, la plus ambitieuse depuis la création en 2011 de sa compagnie Nomade in France, avec laquelle il défend un théâtre musical métissé. Son écriture ciselée, finement nourrie par un important travail de documentation et des voyages en Nouvelle-Calédonie, nous mène aux points d’intersection des trois luttes, à ses carrefours d’entraide et d’amitié.

Mouvement permanent

Pour raconter la déportation des insurgés français et algériens en ­Nouvelle-Calédonie, puis la révolte d’Ataï et des siens, les huit comédiens sont à l’image des figures qu’ils incarnent : en mouvement permanent. Tantôt dans des monologues, tantôt à plusieurs, ils expriment le refus de leurs personnages de se laisser réduire à ce que veulent faire d’eux des gouvernements qui oppriment et colonisent. Louise Michel (excellente Johanna Nizard), le chef militaire Aziz El Haddad (Fodil Assoul) et Ataï (le danseur hip-hop et slameur kanak Simanë Wenethem), qui se rencontrent et solidarisent au plateau comme ils l’ont fait dans la réalité, sont entourés d’individus moins célèbres grâce aux autres acteurs, habiles dans leurs multiples changements de rôle. Dans Kaldûn, la Nouvelle-Calédonie est davantage qu’une vie d’exil pour les uns et une existence d’occupation pour les autres. C’est un passionnant terrain d’écoute de l’autre, de ses douleurs et de ses aspirations.



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Théâtre
Temps de lecture : 2 minutes