La Ménagerie de verre, un laboratoire du possible

L’illustre maison parisienne dédiée à l’expérimentation scénique tous azimuts fête ses quarante ans d’activisme. Une célébration marquée par une plantureuse édition spéciale de son festival fétiche.

Jérôme Provençal  • 6 décembre 2023 abonné·es
La Ménagerie de verre, un laboratoire du possible
"900 Something Days Spent in the XXth Century", de Némo Flouret, a ouvert le festival.
© Némo Flouret

Festival Les Inaccoutumés / jusqu’au 16 décembre / La Ménagerie de verre / 12, rue Léchevin, Paris (11e).

On y vient sans savoir jamais précisément ce qu’on va y trouver, pour le frisson chaque fois renouvelé de la découverte sans filet : à la Ménagerie de verre, l’horizon artistique tend vers l’infini. Implantée dans une petite rue discrète du 11e arrondissement de Paris, à l’écart du turbulent quartier Oberkampf, et aménagée sur le site d’une ancienne imprimerie, cette structure à nulle autre pareille en France a ouvert ses portes en 1983. Indissociable de sa fondatrice, Marie-Thérèse Allier, personnalité haute en couleur, ce lieu a pour vocation première de soutenir la recherche chorégraphique, avec une ouverture franche à d’autres formes d’expression – théâtre contemporain, poésie sonore, musique, arts plastiques… – et un engagement pour l’hybridation libre.

Accueillant des compagnies en résidence (environ 150 par an), proposant des cours de danse aux professionnel·les, montrant des pièces hors normes, opérant au cœur du temps présent, il s’est vite affirmé comme une indispensable place forte du spectacle vivant – appellation qui prend ici toute sa dimension. D’un style architectural épuré, la Ménagerie de verre abrite cinq studios de répétition (qui peuvent se muer en lieux de représentation ou d’exposition), des bureaux, un café-restaurant et un espace de jeu, baptisé « off », qui a beaucoup fait pour sa réputation. Bas de plafond et brut de caractère, tout en béton, l’endroit évoque davantage un parking souterrain qu’une salle de spectacle : un écrin idéal, à la jauge adaptée, pour les tentatives scéniques les moins formatées.

Univers poético-fantasque

En 2022, Marie-Thérèse Allier s’en est allée, à l’âge de 91 ans. Conformément à sa volonté, la direction de la maison a alors été transmise à celui qu’elle avait désigné comme son légataire, le metteur en scène Philippe Quesne. À la tête de la compagnie Vivarium Studio, celui-ci développe depuis vingt ans un univers poético-fantasque très original au croisement de plusieurs disciplines, en prise oblique et ludique avec notre époque, notamment par rapport à la question écologique, récurrente dans son corpus. «Je suis très attaché à la Ménagerie de verre, nous confie Philippe Quesne. Marie-Thérèse Allier a tellement œuvré pour favoriser l’émergence des jeunes compagnies ! Elle a soutenu d’emblée notre travail et nous a accompagnés pendant une dizaine d’années. Plusieurs de nos pièces ont été créées là et des liens d’amitié se sont noués au fil du temps. Reconnue en France aussi bien qu’à l’étranger, la Ménagerie offre aux artistes des conditions privilégiées de travail et d’expérimentation. C’est d’autant plus appréciable que Paris accuse un manque criant de tels lieux. »

Paris accuse un manque criant de tels lieux.

P. Quesne

Œuvrant en binôme avec Christophe Susset (directeur exécutif), ­Philippe Quesne – qui a dirigé précédemment le Théâtre Nanterre-­Amandiers – affiche une volonté de changement dans la continuité et exprime l’espoir d’une augmentation prochaine des subventions allouées par les trois tutelles (Drac Île-de-France, ville de Paris, région Île-de-France). Celles-ci tournent actuellement autour de 550 000 euros, montant auquel s’ajoutent quelques fonds privés. Le tout représente un budget global plutôt restreint, eu égard à la renommée et à la créativité de la structure.

Pour fêter ses 40 ans avec tout l’éclat de circonstance, la Ménagerie de verre propose une édition extra-large de son festival automnal, Les Inaccoutumés, qui a démarré mi-septembre et va s’achever mi-décembre. On peut encore voir Funkenstein, un solo tourneboulant du danseur et chorégraphe Kidows Kim autour de la monstruosité ; Manger les riches, une décomposition, une lecture performée de l’écrivaine Sandra Lucbert croquant le capitalisme à pleines dents ; et – en clôture du festival – Midi Minuit Fantastico, un joyeux remue-ménage(rie) orchestré par Sophie Perez et la compagnie du Zerep : douze heures de réjouissances éclectiques, décalées et imprévisibles, comme un parfait concentré de l’esprit des lieux.


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Spectacle vivant
Temps de lecture : 4 minutes