« The Killer » : différentes nuances de noir

Après dix ans de silence, Crime and the City Solution fait un peu figure de revenant. Avec une palette sonore inchangée.

Jacques Vincent  • 6 décembre 2023 abonné·es
« The Killer » : différentes nuances de noir
Des chansons qui évoquent des étendues désolées, sombres et glacées, parfois même des tableaux apocalyptiques à la Jérôme Bosch.
© Elvira Akzigitova

The Killer / Crime and the City Solution / Pias.

Évoquer Crime and the City Solution ramène dans le Berlin de la seconde partie des années 1980 avec l’apparition d’une cosmogonie musicale autour des Bad Seeds de Nick Cave, rassemblant des musiciens australiens et européens. Dans cette nébuleuse, on pouvait retrouver le même musicien dans deux ou trois groupes, éventuellement avec un instrument différent à chaque fois. Einstürzende Neubauten, These Immortal Soul et Crime and the City Solution avaient comme point commun de produire des musiques intenses, sombres, orageuses, parfois bruitistes, voire brutales, comme si leur projet était d’explorer différentes nuances de noir.

Crime and the city solution The Killer

Fermant une parenthèse de dix ans, Crime and the City Solution, de retour à Berlin, sous la houlette de ses deux membres fondateurs, Simon Bonney et Bronwyn Adams, revient avec un album dans la lignée des précédents. Des chansons qui évoquent des étendues désolées, sombres et glacées, parfois même des tableaux apocalyptiques à la Jérôme Bosch. Les guitares lancent des riffs d’airain énormes et verticaux comme des piliers de cathédrale, parfois se lient aux synthétiseurs pour un bras de fer qu’aucun des deux ne gagne ; le violon produit un grincement sinistre ; ailleurs des accords de piano tombent lourdement comme s’ils avaient charge d’exprimer le poids du monde. Les textes sont à l’unisson, chantés d’une voix de grand ordonnateur du chaos, de prêtre profane, qui semble à la fois déclencher et maîtriser les éléments.

Vent mauvais

L’album s’ouvre sur ces mots : « Mon amour transforme la rivière en sang. » Et ce n’est que le début, avant même la tempête. Au centre du disque, « Killer » va placer les choses à un autre niveau dès son introduction : « Je suis la destruction et la naissance / Un vent hurlant né de la terre. » Et plus loin : « J’ai vécu une vie extrême / Compté les morts dans mes rêves […] Pourquoi ne sommes-nous pas morts / Avec ceux que nous avons laissés derrière nous ? » Ce sont neuf minutes majestueuses et reptiliennes au déroulement lourd et lent charriant des mots qui se bousculent, jusqu’à cette prière : « Je ressens votre douleur / S’il vous plaît, ne me tuez pas. »

Les guitares se font déflagrations. Tranchantes, elles déchaînent des tempêtes qu’un orgue vient incendier, apportant la seule lumière dans un univers anéanti. Après ces scènes de désolation, le final, « Peace in My Time », introduit un narrateur qui confesse être le seul à blâmer et pose en boucle cette question : « Y aura-t-il la paix de mon vivant ? » Sur une trame musicale se résumant à un piano, un violon et une batterie dont les cymbales évoquent un vent mauvais, et le rythme la marche d’une armée en déroute.


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Musique
Temps de lecture : 3 minutes