Jabbour Douaihy raconte son Liban

Le dernier roman de l’écrivain libanais, décédé en 2021, raconte un destin brisé et rend hommage à la richesse culturelle d’une région pourtant ravagée par la guerre.

Lucas Sarafian  • 17 janvier 2024 abonné·es
Jabbour Douaihy raconte son Liban
© Étienne Boulanger / Unsplash

Il y avait du poison dans l’air / Jabbour Douaihy / traduit de l’arabe par Stéphanie Dujols / Actes Sud, 192 pages, 21,80 euros.

Si la guerre est couramment traitée comme une question géopolitique, on oublie trop souvent qu’elle détruit et change des vies. Dans un village de montagne, au Liban, les morts s’accumulent, les familles partent progressivement, le danger monte. Le narrateur, encore adolescent, partage cette inquiétude. Mais comment pourrait-il deviner que ce n’est là qu’un début : celui de la guerre civile libanaise, « dont, sur le moment, nous n’avons pas saisi les causes et dont, des années après en être sortis, nous comprendrions qu’elles étaient ridicules » ? Un obus détruit la cuisine de la maison où le narrateur vit avec sa mère, son père et sa tante hémiplégique. La famille décide de partir pour Beyrouth. Mais, là aussi, impossible d’échapper aux tensions qui grandissent dans le pays.

Que retenir d’une vie qui n’a connu que la guerre ?

Il y avait du poison dans l’air, le dernier roman du Libanais Jabbour Douaihy, décédé en 2021, raconte les exils forcés et le drame d’un destin brisé. Écrasé par la domination du pouvoir en place et rongé par l’idée de la guerre, le narrateur se trouve empêché d’exaucer ses désirs : écrire, lire et enseigner la littérature. Dans l’impasse, ce double de l’auteur, puisque lui-même était professeur de français, se réfugie dans la révolte politique. Il rejoint une organisation armée palestinienne, agit pour le compte de l’organisation des trotskistes arabes et vit dans la peur d’être arrêté.

En creux, l’auteur se demande ce qu’il faut retenir d’une vie qui n’a connu que la guerre, depuis les prémices du conflit civil jusqu’à l’explosion du port de Beyrouth en août 2020. Mais il refuse de résumer la vie du narrateur et l’histoire de sa région à la violence. Il s’attelle à écrire la richesse culturelle du Proche-Orient. Le lecteur croise alors la description d’une peinture de l’artiste syrien Abou Sobhi Al-Tinawi, des écrits du poète libanais Bechara El-Khoury ou de l’écrivain arabe préislamique Antara Ibn Chaddâd. Les vers de Khalil Gibran ou de Mahmoud Darwich ponctuent le texte. Ainsi, Douaihy confronte la diversité artistique proche-orientale aux conflits qui opposent certains pays de la région.

L’autre intérêt stylistique du roman est l’importance accordée aux descriptions des paysages. Le narrateur ne cesse d’essayer de se souvenir du pays qu’il a connu : « Les couleurs vives sur certaines façades, les boiseries des fenêtres, les hauts murs avalés par les plantes grimpantes et les fleurs desséchées, cachant de vieilles maisons où des familles anciennes, en voie d’extinction, menaient une vie austère et silencieuse avec des règles d’un autre temps. » Par cette démarche sensible, Jabbour Douaihy tente de reconstituer la beauté d’un Liban ravagé par des décennies de conflits armés

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Littérature
Temps de lecture : 3 minutes