« L’impossible retour » : portrait de famille

Dans son premier roman, Nathalie Hadj mène l’enquête pour tenter de reconstituer le passé de ses parents et construit des portraits d’une grande sensibilité.

Lucas Sarafian  • 29 janvier 2024 abonné·es
« L’impossible retour » : portrait de famille
Nathalie Hadj n’hésite pas à entremêler plusieurs fils narratifs et s’écarte volontiers de la chronologie.
© Laura Fuhrman / Unsplash

L’impossible retour / Nathalie Hadj / Mercure de France, 208 pages, 20 euros.

Longtemps, Nathalie Hadj s’est contentée des silences de son père. Alors qu’il vit ses derniers jours alité dans une chambre d’hôpital, la narratrice, double de l’autrice, se rend compte qu’elle ne connaît presque rien de son histoire. Si ce n’est son rapport à la guerre d’Algérie, il n’a jamais évoqué son enfance dans un village perché dans les montagnes de la wilaya de Tizi Ouzou ou son arrivée à Paris. Au moment de son enterrement, elle comprend qu’elle ne saura jamais qui il était vraiment : « Devant ces hommes qui s’affairent à couvrir de terre le corps de mon père, je ne cesse de pleurer car ils enterrent avec lui toute possibilité de lui parler. Ils ensevelissent ses silences, son histoire non racontée, sa mémoire à peine dévoilée. Je ne pourrai plus jamais savoir qui il a été. »

L’impossible retour, le premier roman de Nathalie Hadj, consule honoraire de France à Malaga, en Espagne, raconte la tentative de la narratrice d’écrire le portrait de ses parents : son père, Karim, est un Kabyle qui quitte l’Algérie pour la France en 1956 et sa mère, Ana, fuit la dictature espagnole en 1962 pour rejoindre Paris en rêvant de devenir couturière.

« Comme une chasseuse de papillons, il m’a fallu attraper au vol des bribes de conversation pour reconstituer le passé de mon père. Avec ces morceaux, j’ai recomposé le patchwork de sa vie, mais il manque des pièces et je viens juste de prendre conscience, là, devant ce médecin, que mon père est comme un livre dont on aurait arraché les premières pages et que, pour le comprendre, il m’a fallu imaginer ce qui ne m’a pas été raconté. » En creux, la narratrice explique la démarche de l’autrice qui assume puiser dans son histoire familiale tout en s’autorisant des moments de fiction.

Le lecteur se retrouve devant une multitude de morceaux de vie.

Ce livre raconte aussi le mépris social que subit cette génération d’immigrés des années 1960, contraints d’effacer leurs identités pour s’intégrer en France. Mais l’un des autres intérêts de l’œuvre porte sur la construction du texte. Car Nathalie Hadj n’hésite pas à entremêler plusieurs fils narratifs et s’écarte volontiers de la chronologie. De ce fait, elle assume le sentiment d’incomplétude éprouvée par la narratrice vis-à-vis de l’histoire de ses parents. Elle raconte des lieux, comme cette loge d’immeuble rue Édouard-Lockroy, dans le 11e arrondissement, dans laquelle elle a vécu une partie de son enfance. Et au milieu de ses souvenirs, des images de ses parents surgissent. Le lecteur se retrouve alors devant une multitude de morceaux de vie. Un choix narratif qui donne à ces portraits une très grande sensibilité.

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Littérature
Temps de lecture : 3 minutes