Red Desert Orchestra : rouge profond

Vaste ensemble instrumental conduit par la pianiste Ève Risser, le Red Desert Orchestra tisse des liens palpitants entre l’Europe et l’Afrique via deux projets étroitement connectés, Kogoba Basigui et Eurythmia.

Jérôme Provençal  • 17 janvier 2024 abonné·es
Red Desert Orchestra : rouge profond
Constituée de neuf instrumentistes originaires d’Europe, la formation tend ses oreilles vers l’Afrique et fonde sa dynamique créatrice sur une relation de partage égalitaire entre les musiques des deux continents.
© Margaux Rodrigues

En tournée du 18 janvier au 2 février / Programme détaillé ici.

Toujours à l’affût de l’inouï, en prise directe avec l’instant présent, Ève Risser mène une vie musicale intensive depuis le mitan des années 2000. Interprète audacieuse, elle pratique assidûment l’improvisation au piano, son instrument de prédilection, et s’adonne en outre à l’art de la composition. Inclassable, évoluant principalement entre jazz et musique contemporaine, elle œuvre dans des configurations très variées, du solo au grand ensemble – un format auquel elle a pris goût lors des années, de 2008 à 2013, passées au sein de l’Orchestre national de jazz.

Dans la foulée de cette expérience, elle a entraîné avec elle plusieurs camarades du conservatoire pour créer en 2014 son propre ensemble, le White Desert Orchestra, inspiré en particulier par la puissante poésie minérale des canyons états-uniens. Ayant le sentiment que le projet était en voie de tarissement, elle s’est engagée en 2018 dans une autre vaste entreprise, le Red Desert Orchestra. Constituée de neuf instrumentistes originaires d’Europe, cette nouvelle formation tend ses (nombreuses) oreilles vers l’Afrique et fonde sa dynamique créatrice sur une relation de partage égalitaire entre les musiques des deux continents. Le désir de travailler avant tout avec des femmes apparaît comme un autre paramètre fondamental du projet.

Nous tenons vraiment à défendre l’utopie de l’orchestre et de la création collective.

E. Risser

Par l’intermédiaire de Sébastien Lagrave, directeur du festival Africolor, Ève Risser – que les musiques africaines passionnent depuis longtemps – a découvert un orchestre malien exclusivement féminin, le Kaladjula Band, alors composé de sept membres (désormais seulement six, à la suite du décès de l’une d’elles). Plusieurs séjours à Bamako ont permis à l’artiste française de tisser des premiers liens avec ses consœurs maliennes, à commencer par la chanteuse, musicienne et griotte Naïny Diabaté, meneuse du Kaladjula Band.

« J’ai passé du temps là-bas à les observer, j’ai rencontré aussi Rokia Traoré, raconte Ève Risser. Je n’étudie pas beaucoup lorsque je travaille sur un projet : j’ai un rapport très social à la musique, je suis animée avant tout par le besoin de rencontrer des gens. Grâce à Naïny, j’ai pu mesurer ce qu’est une femme forte au Mali. Sans se revendiquer féministe, elle a construit sa propre puissance et parvient toujours à s’opposer aux hommes qui cherchent à exercer un ascendant. »

Symbiose

Rapidement, une étroite connivence s’est établie entre ces deux fortes personnalités très bien accordées et la collaboration a été enclenchée sous l’intitulé Kogoba Basigui. Affiné au fil du temps, de répétitions en tournées, leur tissage musical mêle des compositions communes et des morceaux de chaque orchestre, réarrangés pour le projet. En live, où peu d’espace est laissé à l’improvisation, ce large aréopage transcontinental s’attache à trouver le juste équilibre entre Europe et Afrique, en faisant bien entendre chaque instrument (cuivres, kora, piano, bolon, guitare, djembé, percussions…) et chaque voix.

« Les concerts peuvent durer jusqu’à deux heures et génèrent des moments d’une grande intensité, proches de la symbiose, qui me rendent profondément heureuse, s’enthousiasme Ève Risser. Il est difficile, pour des raisons matérielles, de faire tourner des groupes aussi larges, mais nous tenons vraiment à défendre l’utopie de l’orchestre et de la création collective. » Précédé par un très prometteur morceau avant-coureur de vingt minutes, mis en circulation via SoundCloud, un album doit paraître au printemps.

Parallèlement à Kogoba Basigui se développe un projet connexe, baptisé Eurythmia. De nature différente, il réunit les neuf membres du Red Desert Orchestra, un musicien burkinabé et deux musiciennes françaises d’ascendance burkinabée. Ayant publié un splendide premier album en 2022, cet ensemble porte un répertoire tout entier composé par Ève Risser. En tournée française au cœur de cet hiver 2024, le Red Desert Orchestra va notamment faire l’ouverture – avec Kogoba Basigui – de l’excellent festival Sons d’hiver et participer avec ses deux projets au jeune festival Albi Jazz, en pleine expansion.

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Musique
Temps de lecture : 4 minutes