« Black Music Justice », une collection d’affaires

Fabrice Epstein recense en détail les nombreuses actions juridiques qui ont traversé l’histoire de la musique noire.

Pauline Guedj  • 14 février 2024 abonné·es
« Black Music Justice », une collection d’affaires
Aretha Franklin chante « Respect » dans le film de John Landis The Blues Brothers (1980)
© Universal Pictures / Collection ChristopheL / AFP

Black Music Justice : une histoire judiciaire des musiques noires / Fabrice Epstein / La Manufacture de Livres, 360 pages, 27 euros

En 1969, Led Zeppelin publie « Whole Lotta Love », un morceau dans lequel explose la voix de Robert Plant et un single qui se vend aux États-Unis à plus de cinq millions d’exemplaires. Pourtant, les paroles de cette chanson, perçue par les fans comme un ovni, empruntent à celles de « You Need Love », un blues écrit par Willie Dixon en 1962. Dans les années 1980, la fille de Dixon se plaint. Jimmy Page, acolyte de Plant, se défend avec cynisme : « Robert a oublié de changer les paroles » ! Un accord est trouvé hors des tribunaux et Dixon est à présent cité dans les crédits du morceau.

En 1959, le trompettiste Miles Davis joue au Birdland, à New York, sur la 52e rue. Entre deux sets, il accompagne une amie blanche jusqu’au taxi qui l’attend dans la rue. Un policier le toise. Miles soutient son regard. « Vous êtes en état d’arrestation. » Des coups suivent. Miles Davis, en sang, est mené au commissariat de la 54e rue. Au procès, on cherche à prouver qu’il aurait eu l’intention de frapper le policier. Le musicien souhaite le poursuivre au civil. L’affaire sera prescrite.

Le 2 août 1991, Rick James, grande figure du funk, héros du « Super Freak », est arrêté avec sa petite amie de 21 ans. Ils sont accusés d’avoir séquestré et torturé une jeune femme de 24 ans. Dans sa plaidoirie, l’avocat de Rick James évoque la toxicomanie du musicien. James est acquitté des charges les plus graves : les accusations d’agression et de torture.

Pêle-mêle, voici donc un échantillon de la soixantaine d’affaires touchant des musiciens noirs contées par Fabrice Epstein dans Black Music ­Justice. L’ouvrage liste ces incidents en décrivant précisément les plaidoiries lorsque ceux-ci atterrirent devant les tribunaux, en détaillant les implications de toutes les parties, musiciens, maisons de disques, tourneurs, producteurs, et en usant d’une langue simple et accessible pour démêler des imbroglios souvent bien complexes. Lire en particulier le chapitre consacré aux questions de succession, d’une grande limpidité.

L’analyse d’Epstein est toujours intéressante lorsqu’elle se plonge dans la politique.

Pour Epstein, la musique noire est entendue dans son acception la plus large et jamais – peut-être peut-on d’ailleurs le regretter – il ne s’embourbe dans les définitions. On passe du blues au jazz et au rock, à propos duquel Epstein rappelle l’excellente et lapidaire citation de Muddy Waters : « Le blues a eu un enfant et ils l’ont appelé rock’n’roll », pour évoquer ensuite le reggae, la soul, le funk, le rap et, chemin faisant, les musiques du Cameroun, de l’Afrique du Sud et du Nigeria. Charles Mingus est présent aux côtés de Kanye West, Peter Tosh dialogue avec Orelsan.

Appropriation culturelle

Ce large spectre de musiques et d’époques entraîne alors une multitude d’anecdotes entre lesquelles on peine parfois à saisir une réelle continuité. Si les cas de George Clinton ou de Sly Stone, qui se battent pour que leurs droits d’auteur spoliés par l’industrie musicale blanche leur reviennent, dialoguent avec les nombreuses affaires touchant les Rolling Stones dans lesquelles se nichent les débats sur l’appropriation culturelle et les relations de pouvoir entre races et classes, que faire des affaires Snoop Dogg, incriminé pour un meurtre qu’il dit n’avoir pas commis, ou Michael Jackson, se défendant des accusations de pédophilie dont il est l’objet ?

Au long du livre, l’analyse d’Epstein est toujours intéressante lorsqu’elle se plonge dans la politique. L’auteur est captivant lorsqu’il évoque les messages antiségrégationnistes de John Coltrane, les actions de Norman Granz, un producteur impliqué dans la défense des droits des artistes avec lesquels il collabore, ou les combats féministes d’Aretha Franklin, qui ne toucha jamais les droits d’auteur de sa reprise de « Respect ». Dommage, alors que le livre ne procure pas le même enthousiasme lorsqu’il s’attaque à des faits divers, histoires de crimes ou d’abus, souvent trop peu replacés dans leur contexte politique et social.

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Musique
Temps de lecture : 4 minutes