Clermont-Ferrand : brevissimo !

Fragilisé par un contexte économique et politique difficile, le Festival du court métrage de Clermont-Ferrand se maintient pourtant à un haut degré de rayonnement. Retour sélectif sur une édition 2024 à forte coloration féminine.

Jérôme Provençal  • 14 février 2024 abonné·es
Clermont-Ferrand : brevissimo !
Rentrons, de Nasser Bessalah.
© Festival du court métrage de Clermont-Ferrand

« L’Auvergne produit des ministres, des fromages et des volcans », assène Alexandre Vialatte en ouverture de l’une de ses fameuses chroniques écrites pour le quotidien clermontois La Montagne (1). Mort en 1971, l’écrivain n’a pas pu voir apparaître un événement appelé à prendre une place de premier plan dans le paysage régional – et bien au-delà : le Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand.

1

« L’Auvergne : odeur de vieux temps », dans le recueil Dernières nouvelles de l’homme.

Tout a démarré en février 1979, sous la forme d’« une semaine de cinéma de court métrage » organisée dans un amphi par une bande (à part) d’étudiants cinéphiles. Le festival proprement dit est né en 1982, d’abord national puis international à partir de 1986. Porté avec une détermination inflexible par l’association Sauve qui peut le court métrage, il a pris continûment de l’envergure et constitue aujourd’hui le plus important rendez-vous dédié à ce format sur le plan international.

Est-ce à dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Pas exactement. Si l’édition 2020 a échappé de justesse à la première vague du covid-19, le festival a évidemment subi l’impact négatif de la pandémie, les éditions 2021 et 2022, réduites pour raisons sanitaires, ayant creusé un déficit substantiel. S’ajoute la puissante dynamique inflationniste, en particulier sur les coûts énergétiques, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022.

Comme si tout cela ne suffisait pas, l’année 2023 a été marquée par une très mauvaise nouvelle venue de l’intérieur, à savoir une réduction sévère de la subvention – qui passe de 210 000 euros à 100 000 euros – allouée au festival par le conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes. Depuis le printemps 2022, de nombreuses autres structures culturelles de la région ont subi, dans des proportions variables, le désengagement du conseil régional, présidé par Laurent Wauquiez (LR). Via des communiqués ou des entretiens, Laurent Wauquiez et Sophie Rotkopf, sa vice-présidente chargée de la culture, invoquent un « rééquilibrage territorial » et réclament davantage d’actions culturelles hors des zones urbaines.

Travail de fond et culture populaire

Or, en accompagnement du festival, Sauve qui peut le court métrage mène précisément différentes initiatives durant toute l’année en Auvergne-Rhône-Alpes, y compris dans de petites communes rurales. Intitulée « Circuit court », la principale de ces initiatives consiste à faire tourner dans la région, à la demande (d’une association, d’une collectivité territoriale…), plusieurs programmes de courts métrages – dont un florilège de la dernière édition en date du festival.

Par ailleurs, un travail de fond s’accomplit avec les établissements scolaires afin de développer la culture cinématographique des élèves et de former leur regard critique. Sous-tendant toute l’activité de Sauve qui peut le court métrage, le concept de culture populaire s’avère primordial aux yeux d’Éric Roux, président et trésorier de l’association depuis 2020. « Ça ne m’intéresse pas de convaincre les personnes déjà convaincues, nous explique-t-il. Je cherche plutôt à raconter des histoires autour des cultures populaires et à toucher les publics a priori les plus éloignés. »

Nous sommes déjà en train d’imaginer comment nous allons pouvoir faire l’édition 2025.

É. Roux

En raison de ces circonstances, il a fallu faire des choix difficiles pour l’édition 2024, pour l’édition 2024, qui s’est tenue du 2 au 10 février. Les sections de compétition ont été amincies – quatre programmes en moins – et les prix des tickets ont été légèrement augmentés – 4,50 euros au lieu de 4 euros pour le ticket à l’unité, ce qui reste très abordable. Toujours en attente d’une reprise du dialogue avec le conseil régional, Éric Roux se montre peu optimiste quant à la subvention de cette année – dont le montant devrait être rendu public au printemps. Pouvant heureusement compter sur le soutien des autres collectivités et de divers partenaires privés, le festival n’est pas mis en péril mais il est fragilisé. « Nous sommes déjà en train d’imaginer comment nous allons pouvoir faire l’édition 2025 », souligne Éric Roux.

Dans un futur proche se profile par ailleurs la Cité du court. Au terme de longs travaux, celle-ci doit ouvrir en 2028 en investissant notamment le bâtiment de la Jetée – structure inaugurée en 2000, qui abrite les locaux de Sauve qui peut le court métrage, une salle de projection et un vaste centre de documentation. « Le festival produit une énergie fantastique, constate Éric Roux. Il est nécessaire de pouvoir propager cette énergie à l’année à l’aide d’un lieu phare dédié au cinéma court. »

Chiffre record

S’agissant de l’édition 2024, qui s’est tenue du 2 au 10 février, 9 400 films avaient été envoyés dans l’espoir d’une sélection : un chiffre record, en hausse de 14 % par rapport à 2023, témoignant à la fois de la vitalité de la production et de l’attractivité du festival, toujours aussi forte malgré les aléas récents. 133 ont été retenus et présentés dans les trois sections de compétition : Internationale, Nationale, Labo – cette dernière dévolue aux courts les plus expérimentaux.

De la compétition nationale se détache d’abord Dans la tête un orage (2023) de Clément Pérot, un documentaire très sensoriel centré sur des adolescent·es qui traînent, dans la torpeur de l’été, aux abords vagues d’une cité de la banlieue de Calais. Prenant pour cadre un établissement maraîcher où vivent et travaillent des personnes en situation de handicap, L’Envoûtement (2023) de Nicolas Giuliani génère une fiction à forte teneur documentaire. Long de 46 minutes, tout en patients affleurements, le film décrit avec un sens remarquable de la suggestivité les rapports qui unissent deux pensionnaires, Bruno et Céline, dont le quotidien est bouleversé par l’arrivée d’une nouvelle éducatrice.

Dans la tête un orage Clément Pérot
Dans la tête un orage, de Clément Pérot.
L’Envoûtement, de Nicolas Giuliani.

Citons encore Rentrons (2023), premier film de Nasser Bessalah. À travers les tribulations de deux jeunes gens, Nouria et Abdel, en route du nord de l’Algérie vers la France, ce mini-road-movie élégant et enlevé évoque les relations tortueuses entre les deux pays d’une manière joliment singulière.

Glissons vers la compétition internationale dans laquelle on a pu récolter, entre autres, Une orange de Jaffa (2023) de Mohammed Almughanni. Suivant un jeune Palestinien qui cherche urgemment un taxi pour passer un poste de contrôle et rejoindre sa mère côté israélien, le film – réalisé par un cinéaste d’origine palestinienne déjà auteur de plusieurs courts sur le sujet – aborde une réalité ô combien tragique par le biais d’une fiction à la finesse incisive, non dénuée d’humour – on pense un peu à Elia Suleiman.

Avec Après-coups, la Québécoise Romane Garant Chartrand choisit la voie du documentaire pour transmettre les voix de femmes victimes de violences conjugales qui vivent temporairement dans un lieu d’accueil. Sans jamais filmer de face les visages de ces femmes meurtries, elle porte sur elles un regard empli de délicatesse attentive. Recueillant leurs paroles, les inscrivant dans une perspective plus large, elle rend leurs blessures intérieures palpables et fait mesurer toute l’étendue des ravages que de telles violences provoquent.

Aussi rigoureux que douloureux, ce film a pris une résonance peut-être encore plus forte au sein de cette édition 2024 adoptant résolument la cause des femmes. Le très riche programme hors compétitions comprenait ainsi deux sections spéciales : Eur♀ Visions – films de cinéastes européennes – et Insoumises – portraits de femmes opposées à l’ordre établi.

Dans la première, on a pu voir notamment Son Altesse Protocole (2019) d’Aurélie Reinhorn, réjouissante satire drolatique située dans un parc d’attractions. Dans la seconde, Y’a qu’à pas baiser (1971) de Carole Roussopoulos, strident vidéo-tract sur l’avortement – alors encore illégal en France – dans lequel figure une longue séquence sans filtre montrant un avortement clandestin pratiqué par des militantes féministes. Grande pionnière de la vidéo, membre du collectif les Insoumuses, Carole Roussopoulos a en outre été mise à l’honneur dans le cadre du programme Court d’histoire, présentant deux courts métrages, portraits réalisés durant le long mouvement de révolte des employé·es de l’usine Lip dans les années 1970.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Cinéma
Temps de lecture : 8 minutes