« Chienne de rouge », sangs mêlés

Yamina Zoutat réalise un film organique, qui interroge subtilement nos identités.

Christophe Kantcheff  • 13 février 2024 abonné·es
« Chienne de rouge », sangs mêlés
Sans être frontalement explicite, Chienne de rouge débouche sur des questions actuelles et sensibles qui hantent nos sociétés.
© Shellac

Chienne de rouge / Yamina Zoutat / 1 h 40.

Un beau matin, l’envie de filmer du sang a saisi Yamina Zoutat. Rien de plus ordinaire au cinéma. Le sang est partout, il s’étale sur (presque) tous les écrans. Mais ce n’est pas du vrai. Or la cinéaste ne désirait pas de sang factice, pas de liquide rouge. Un tel point de départ peut paraître arbitraire ou artificiel. Pourquoi le sang ? La réalisatrice, dont Chienne de rouge est le deuxième long-métrage documentaire, élude cette question. Voici deux pistes possibles de motivation.

La première : Yamina Zoutat ouvre son film par des images d’archives relatives au procès du sang contaminé, à la fin des années 1990. À l’époque, journaliste à la rédaction de TF1, elle l’avait couvert. La manière dont il s’était déroulé l’avait choquée et, se souvenant encore aujourd’hui de victimes décédées, elle évoque comment elles ont été contaminées, leur rend hommage avec des photos de famille où elles figurent. La seconde raison est plus hypothétique, car inconsciente. En effet, la cinéaste va découvrir un secret la concernant : enfant, elle a été sauvée de la mort par une transfusion.

A priori construit comme un puzzle, Chienne de rouge est structuré par ces deux axes, qui ne sont pas imperméables l’un à l’autre : d’une part, des questions touchant la société entière, le sida, la gestion des blessés à l’hôpital à la suite d’un attentat, la collecte du sang. D’autre part, des cheminements plus intimes, celui de la maladie, des greffes, des relations entre receveurs et donneurs, c’est-à-dire entre sauvés et sauveurs…

Sang pluriel

Au gré des rencontres, des personnes se racontent : un convoyeur de sang congelé, d’origine marocaine, parle de sa femme italienne et de ses enfants ; une femme médecin, spécialiste des greffes, est filmée avec sa famille vietnamienne ; une patiente transfusée s’interroge sur son ADN et se sent sœur de sang avec sa donneuse… La cinéaste elle-même est issue d’un père algérien et d’une mère italienne. Sang mêlé, ajouté, revitalisé ou remplacé…

Sans être frontalement explicite, Chienne de rouge débouche sur des questions actuelles et sensibles qui hantent nos sociétés : comment se constituent nos identités ? Le sang ne serait-il pas toujours pluriel ? Celui qui coule dans nos veines n’est-il pas celui de notre humanité tout entière ? On est loin, ici, du repli identitaire et du droit du sang. Un sang que filme Yamina Zoutat dans de nombreuses situations (parfois, il faut le dire, de manière un peu absconse), comme si elle s’opposait aujourd’hui à l’injonction qui lui avait été faite naguère quand elle travaillait pour la télévision : « Ne montre pas de sang ! »

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Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes