Groupes de niveaux : Attal investit dans le tri social

En ce mardi 19 mars de grève de la fonction publique, des parents ont pris le relais des enseignants et lancé des opérations « écoles désertes ». L’objectif : dénoncer la casse de l’école publique et le renforcement des inégalités, induit par le « choc des savoirs » du Premier ministre.

Agnès Rousseaux  • 19 mars 2024
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Groupes de niveaux : Attal investit dans le tri social
Marche de l'intersyndicale départementale de Seine-Saint-Denis (93) (FSU, CGT, SUD, CNT , et FO) pour dénoncer la politique éducative actuelle et exiger des fonds supplémentaires pour les écoles publiques, à Paris, le 7 mars 2024.
© Guillaume BAPTISTE / AFP

Gabriel Attal veut un « choc des savoirs » pour « élever le niveau des élèves ». En décembre, alors ministre de l’Éducation nationale, il a annoncé la mesure phare de son projet : la mise en place de « groupes de niveaux » en français et en mathématiques pour les élèves de 6e et de 5e, cassant le fonctionnement par classe. La réforme sera effective dès la rentrée prochaine. Les directeurs de collèges la jugent inapplicable – par manque de professeurs, de salles de cours. Il faut sacrifier des options, des dispositifs existants, arrêter les cours de soutien, mais qu’importe.

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Lors d’un séminaire en ligne organisé dans l’urgence le 14 mars avec plus de 10 000 personnels de direction, le Premier ministre déroule son argumentaire. Il sera très vite contraint d’arrêter l’échange – avec une heure d’avance, assailli de questions auxquelles il semblait ne pas pouvoir répondre. Concession symbolique, le terme « niveau » a été remplacé par « besoin », mais l’idée reste la même. Toutes les études montrent que ce type de dispositif contribue à renforcer les inégalités et à augmenter les écarts entre élèves. À renforcer le sentiment d’échec de ceux qui se retrouvent assignés dans le groupe « des faibles ». Sans impact réel pour les autres.

Quel projet défend-on quand on stigmatise des enfants à un âge où se construit l’estime de soi ?

Quel projet défend-on quand on stigmatise des enfants à un âge où se construit l’estime de soi ? « Vos camarades seront des élèves en difficulté. Votre enseignant vous fera des cours pour élèves en difficulté. Vous aurez un emploi du temps d’élève en difficulté. Vous avez 10 ans, votre avenir a déjà un nom », décrit Alexis Potschke, professeur de français, qui fustige « la mise à mort d’une certaine vision de l’enfance » (1).

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À lire sur le site du Café pédagogique, ainsi que les autres témoignages.

C’est « une évolution rendue nécessaire par la dégradation des résultats », déclarait Amélie Oudéa-Castera début février. Traduction : les classes sont trop hétérogènes et il ne faudrait pas que « les faibles » tirent « les forts » vers le bas. « Après la lutte des classes, la lutte des groupes », dénonce une enseignante. Cela « signera la mort de tout ce en quoi je crois », témoigne une autre. Que les classes puissent être des espaces de coopération et d’entraide, de mixité sociale et de diversité.

Après la lutte des classes, la lutte des groupes.

En Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de métropole, la mobilisation ne faiblit pas depuis fin février, contre ce « choc des savoirs » mais aussi pour davantage de moyens. Enseignants et parents d’élèves réclament un plan d’urgence de 358 millions d’euros pour financer 5 000 postes manquants. Dans le département, les élèves perdent l’équivalent de plus d’un an de scolarité en moyenne du fait du non-remplacement des enseignants absents. Les bâtiments scolaires sont délabrés – un tiers des écoles infestées de nuisibles, 50 % des établissements sous-chauffés, les plafonds qui s’écroulent, le manque de matériel.

Sur le même sujet : En Seine-Saint-Denis, des établissements délabrés, des professeurs exténués, des élèves abandonnés 

Et face à cela, les choix aberrants du gouvernement : plusieurs milliards d’euros pour financer la généralisation du très contesté Service national universel, autant pour celle des uniformes, les 700 millions d’euros de coupes budgétaires annoncées pour l’Éducation nationale cette année. Plutôt qu’une école qui accueille et qui accompagne, le gouvernement préfère visiblement investir dans le tri social. Casser l’école, c’est casser des élèves. Briser des enfants.

En Seine-Saint-Denis et ailleurs, la colère déborde. Les parents d’élèves prennent le relais des enseignants en grève ce mardi 19 mars, et ont lancé avec succès des opérations « écoles désertes ». Ils misent dans les prochains jours sur les occupations d’écoles. Pour ne rien lâcher et faire barrage à cette nouvelle étape du projet de destruction de l’école publique.

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Parti pris

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