« La Machine à écrire et autres sources de tracas » : réparation générale

Après Sur l’Adamant et Rosa Parks & Averroès, Nicolas Philibert clôt son triptyque à propos de la psychiatrie de la plus attachante de manières.

Christophe Kantcheff  • 16 avril 2024 abonné·es
« La Machine à écrire et autres sources de tracas » : réparation générale
Les « tracas » du titre sont dus à des objets usuels tombés en panne. Pour ces patients au long cours, cela constitue un obstacle insurmontable.
© Les films du Losange

La Machine à écrire et autres sources de tracas / Nicolas Philibert / 1 h 10.

La Machine à écrire et autres sources de tracas clôt le triptyque entrepris par Nicolas Philibert. Ours d’or à Berlin en 2023 et sorti peu de temps après, Sur l’Adamant a ouvert le bal. Avec plus de 125 000 entrées – un excellent score pour un documentaire –, le film a rencontré un large public en même temps qu’il a marqué les esprits. Suffisamment pour qu’un an plus tard il soit encore frais dans les mémoires quand Averroès & Rosa Parks est arrivé sur les écrans, le 22 mars dernier. D’une durée longue (ce qui implique moins de séances en salle) parce qu’immersif, ce film de haut vol est encore à l’affiche. Enfin, sans attendre plus longtemps, voici le troisième volet de ce qu’il convient de saluer comme un événement cinématographique.

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On peut se réjouir qu’en France il soit encore possible aujourd’hui de mobiliser des producteurs (TS production) et un distributeur (Les Films du losange) pour réaliser trois films « en psychiatrie » – Nicolas Philibert précisant toujours qu’il ne fait pas des « films sur ». Le nom de celui-ci est bien entendu une référence en matière de documentaire, mais il est malheureusement démontré que, pour le « marché » (même si les enjeux économiques sont plus modestes que ceux de la fiction), une telle garantie ne suffit pas forcément. Le cinéaste n’avait pas « programmé » un triptyque. C’est en tournant qu’il s’est rendu compte que sa matière excéderait un film seul. Finalement, l’ensemble s’avère fort bien structuré et chaque partie cohérente.

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Les cinq patients qu’on voit dans La Machine à écrire et autres sources de tracas (ou qu’on retrouve, certains figurant déjà dans Sur l’Adamant) ont acquis une indépendance sociale : ils vivent en appartement, en résidence ou non. Ce sont des patients « au long cours », si l’on ose dire ; ils ne sont pas en crise, mais toujours suivis et sous traitement. Les « tracas » du titre sont dus à des objets usuels tombés en panne. Pour tout un chacun, c’est ennuyeux mais pas dramatique. Pour eux, cela constitue un obstacle insurmontable qui peut même atteindre l’équilibre (fragile) qu’ils ont trouvé dans leur vie.

Vous n’entendez pas le silence ? Ça me rend dingue ! 

Muriel

C’est le cas par exemple de Patrice. À l’Adamant, il écrit, à la main, deux poèmes par jour. Qu’il tape le soir à la machine. Chez lui sont rangées de nombreuses chemises qui contiennent en tout 8 000 poèmes. Sa machine étant bloquée, il prend du retard et voit ses manuscrits s’accumuler. Muriel est agressée par le silence alors que sa platine laser est tombée en rade. « Vous n’entendez pas le silence ? Ça me rend dingue ! » lance-t-elle.

Chaque fois, un ou deux soignants se rendent sur place. Non des dépanneurs patentés. Ce qui donne parfois des situations cocasses. Ainsi, les deux jeunes hommes qui viennent chez Patrice réparer sa machine à écrire sont des trentenaires qui n’ont jamais vu un tel objet en vrai !

« Mal à la ‘côte ouest' »

Ce sont ces moments qu’a filmés Nicolas Philibert. Contrairement aux deux films précédents (hormis une séquence d’Averroès & Rosa Parks), sa présence est explicite. On l’entend interagir. Car les lieux sont exigus. C’est aussi parce qu’il entretient avec ces patients une proximité faite de confiance et sans doute d’amitié. Il serait donc à la fois impraticable et mensonger de faire autrement.

Frédéric, quant à lui, avec qui le film s’achève, est une sorte de facteur Cheval qui a concentré dans son appartement des amoncellements de livres et de vinyles (toujours prêts à s’effondrer), ainsi que ses œuvres peintes (il a une formation de dessinateur). Être délicat, profondément touchant, il dit avoir mal à sa « côte ouest », chante un air de Polnareff (« Sous quelle étoile suis-je né ? ») et se repose en passant un disque de sons de la nature. On oublie en sa compagnie toute notion de normalité. On est bien avec lui. Et c’est tout ce qui compte.

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Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes