Ces femmes victimes de la guerre à Gaza

Les violences particulières faites aux femmes dans des guerres coloniales sont un invariant : le sort des Palestiniennes nous le rappelle cruellement aujourd’hui.

Denis Sieffert  • 15 mai 2024
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Ces femmes victimes de la guerre à Gaza
Une cuisine publique de Deir el-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, le 13 mai 2024.
© AFP

Même si aucun chiffre n’a été communiqué, un rapport de l’ONU du 11 mars dernier n’autorise aucun doute : « Des violences sexuelles liées au conflit ont eu lieu lors de l’attaque du 7 octobre à plusieurs endroits à la périphérie de [la bande de] Gaza, y compris des viols et des viols en réunion. » On se gardera ici d’établir une quelconque symétrie entre les crimes du Hamas et ceux de l’armée israélienne qui se mesurent en dizaines de milliers de morts et en dévastation de tout un territoire. Cependant, le 6 mai, des expertes de l’ONU ont rapporté deux cas de viols qui n’ont guère défrayé la chronique, sans doute parce qu’ils sont le fait de soldats israéliens. Rendons hommage à France 24 d’avoir diffusé l’information.

Les pratiques sont les mêmes : détruire moralement une société, et pousser la population à fuir.

Il va sans dire que le gouvernement israélien a immédiatement apporté un démenti outragé. Comment l’armée « la plus éthique du monde » aurait-elle pu se livrer à de tels crimes ? L’histoire qui s’écrira un jour révélera sans doute des faits similaires. Aujourd’hui, si les viols documentés sont rares, ce sont surtout des pratiques humiliantes dont les femmes palestiniennes sont victimes. Une vidéo diffusée par le site AJ +, une filiale d’Al-Jazira, qui a fait l’objet d’une vérification de France 24, montre des femmes à demi dénudées au milieu d’autres prisonniers. Des cas de femmes fouillées au corps par des officiers masculins ont également été signalés. Tout est fait pour réduire la presse au silence. Jusqu’à l’assassinat de 135 journalistes depuis le 7 octobre.

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Si les crimes du Hamas relèvent d’une irruption de violence barbare, les humiliations et les violences sexuelles d’une armée d’État font partie d’une tradition coloniale qui laisse peu de place aux démentis officiels. Difficile de savoir ici s’il s’agit de pratiques « spontanées » d’une soldatesque livrée à elle-même, ou d’une politique délibérée. On se souvient que, pendant la guerre civile yougoslave, viols et humiliations avaient été utilisés pour contraindre les populations musulmanes à fuir les zones conquises par les milices serbes. Le secrétaire général de l’ONU de l’époque, Boutros-Boutros Ghali, avait dénoncé « le viol ainsi que les violences sexuelles pratiqués de façon tellement systématique […] qu’il y a lieu de soupçonner le produit d’une politique ». Et des rapporteurs de l’ONU concluaient « qu’il faut ainsi considérer les sévices sexuels dans la perspective du ‘nettoyage ethnique’ ». On ne peut que constater que les objectifs, sinon les pratiques, sont aujourd’hui les mêmes : détruire moralement une société, et pousser la population à fuir.

Les conflits coloniaux créent toujours les conditions du pire. Les femmes sont des victimes toutes trouvées de cet arbitraire.

Selon l’Office des Nations unies pour les réfugiés (UNRWA), 63 femmes sont tuées chaque jour dans la bande de Gaza, pour la plupart des mamans qui laissent des orphelins, lesquels apprennent très jeunes le désespoir et la haine. Depuis le 7 octobre, « au moins 9 000 femmes ont été tuées ». Les violences particulières faites aux femmes dans des guerres coloniales sont un invariant. Voir le magnifique roman de Mathieu Belezi, Attaquer la terre et le soleil (1), qui relate de façon très réaliste les razzias de l’armée française pendant la conquête de l’Algérie. Et Israël a de terribles antécédents. Les éditions La Fabrique ont eu la bonne idée de rééditer, ces jours-ci, le livre de référence de l’historien israélien Ilan Pappé (2) sur le nettoyage ethnique de la Palestine, notamment sur l’opération Nahshon d’avril-mai 1948. Pappé y décrit les massacres et les viols dans les villages situés sur la route de Jérusalem qu’il fallait « nettoyer ». Les groupes sionistes Irgoun et Lehi ont alors pratiqué sur les populations une terreur comparable à celle du Hamas soixante-quinze ans plus tard.

1

Éditions Le Tripode, 2022.

2

Le Nettoyage ethnique de la Palestine, Ilan Pappé, traduit de l’anglais par Paul Chemla, La Fabrique.

L’histoire coloniale a une certaine continuité. En 2001 déjà, Ariel Sharon, alors Premier ministre, avait avoué que « la guerre d’indépendance n’est pas finie ». Et le nettoyage ethnique non plus. Comment, d’ailleurs, imaginer aujourd’hui que les bataillons engagés dans cette guerre asymétrique aient quelque souci du droit quand leurs dirigeants politiques en sont eux-mêmes exonérés. Sans vouloir disserter sur la nature humaine, constatons seulement que les conflits coloniaux créent toujours les conditions du pire, parce que le droit est aboli et l’impunité promise, parce que les témoins ont été éloignés ou éliminés, et parce que ceux qui détiennent la « violence légitime de l’État » ont été biberonnés au racisme. Les femmes sont alors des victimes toutes trouvées de cet arbitraire.

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