Handicap : le CNCPH accusé de complaisance envers le gouvernement
Le gouvernement de Michel Barnier ne comporte aucun ministre dédié au handicap. Une décision qui indigne et inquiète les associations… sauf le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).
Mise à jour le 27 septembre 2024
Après la polémique liée à l’absence d’un portefeuille ministériel dédié au handicap, c’est la députée nordiste Charlotte Parmentier-Lecocq (Horizons) qui a été nommée ministre déléguée aux personnes en situation de handicap ce 27 septembre 2024.
Première parution le 24 septembre 2024
Les Jeux paralympiques sont bel et bien terminés. Et le retour à la réalité, après une belle parenthèse, est difficile pour le monde associatif en charge du handicap. « Je suis folle d’indignation », souffle Marie-Christine Tezenas, présidente du Groupe Polyhandicap France. En cause : l’absence de ministre délégué ou de secrétaire d’État dédié au handicap dans le gouvernement de Michel Barnier. « Une première depuis 2012 », rappelle Danièle Langloys, présidente d’Autisme France.
En effet, l’architecture du nouveau gouvernement ne contient qu’un très grand ministère, avec un portefeuille élargi, pour Paul Christophe, nommé ministre des Solidarités, de l’Autonomie et de l’Égalité entre les femmes et les hommes. « C’est regrettable qu’il n’y ait même pas le mot ‘handicap’. Parce que derrière la notion d’autonomie, on parle bien plus des personnes âgées que des personnes handicapées. En plus de cela, les familles avec des enfants et adultes avec des troubles cognitifs qui les mettent en difficulté dans la vie quotidienne ont peur d’être abandonnées si on oublie les problématiques liées aux situations sévères de handicap », tacle, amer, Danièle Langloys.
Ne pas avoir de ministre dédié, c’est symbolique, mais aussi très concret.
M. Annereau
Un sentiment largement partagé dans « l’écosystème du handicap » souligne Matthieu Annereau, président de l’Association nationale pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP). « On a besoin d’un cabinet dédié auquel on peut faire remonter les problématiques de terrain, avec des interlocuteurs qui connaissent la question. Ne pas avoir de ministre dédié, c’est symbolique, mais aussi très concret. » Plusieurs personnalités médiatiques se sont également émues de cet « oubli », comme Philippe Croizon. « Il faut nous respecter, ce n’est pas normal », a-t-il fustigé sur les ondes de RTL.
« Incompréhensible »
Tout « l’écosystème du handicap » s’émeut donc, depuis samedi soir, de cette absence de marque dans le gouvernement Barnier. Tous ? Non ! Le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) fait office d’exception. Dans un communiqué publié ce lundi, l’instance consultative auprès du gouvernement, a simplement souhaité « bienvenue aux 39 nouveaux ministres en charge de la politique ‘du handicap’ ».
« Chacun des 39 nouveaux ministres est en charge de ces politiques dans son périmètre, les personnes dites handicapées et leurs aidants familiaux entendent d’abord accéder à l’environnement de droit commun et à l’ensemble des politiques publiques qui concernent les Français », poursuit l’institution.
Une prise de position étonnante qui fait vivement réagir. « C’est incompréhensible. Le CNCPH est censé nous représenter. Là, on a l’impression qu’il ne porte plus la voix des 12 millions de handicapés en France », confie un membre du CNCPH. « On s’attendait à un communiqué plus musclé », euphémise Jean-Louis Garcia, président de l’APAJH, l’association pour adultes et jeunes handicapés.
Au cœur de ces critiques, Jérémie Boroy, président du CNCPH depuis 2020 et reconduit à la tête de l’institution à l’été 2023. Contacté par Politis, celui-ci assume totalement ce communiqué. « Un ministre du handicap, pour quoi faire ? interroge-t-il, on se bat pour qu’on ait tous accès au droit commun, avec un ministre de l’Éducation qui s’occupe de la scolarisation des enfants handicapés, un ministre des transports qui soit incollable sur la mobilité des personnes handicapées, et ainsi de suite. Avoir un ministre dédié, moi, je m’en fous ! » Il ajoute : « dans les deux ans qui viennent de passer, donnez-moi un seul exemple qui démontre l’utilité d’avoir un ministre dédié ».
Dans les deux ans qui viennent de passer, donnez-moi un seul exemple qui démontre l’utilité d’avoir un ministre dédié.
J. Boroy
Pour autant, plusieurs de nos interlocuteurs soulignent un changement dans l’attitude du président du CNCPH. En effet, en 2020 lors de la nomination du gouvernement de Jean Castex et l’absence, un temps, de ministre dédié, un communiqué bien plus virulent avait été publié, demandant que « l’accessibilité et l’inclusion » redeviennent « des priorités du président de la République et du gouvernement ».
Indemnité
« Qu’est-ce qui a changé entre 2020 et aujourd’hui ? C’est simple, désormais Jérémie Boroy touche une indemnité pour ses fonctions », note le membre du CNCPH cité précédemment. En effet, effectué au départ à titre bénévole, cette fonction est désormais indemnisée à hauteur de 4 000 euros par mois, tout comme les trois vice-présidents de l’institution, indemnisés 3 000 euros mensuel. Une décision votée par 70 % des membres du CNCPH. « Le sujet est complexe, ce n’est pas non plus normal de faire travailler bénévolement des militants », nuance Danièle Langloys.
Maintenant on le paie 4 000 euros pour qu’il s’écrase.
« Maintenant on le paie 4 000 euros pour qu’il s’écrase », lâche une source au sein de la commission permanente du CNCPH. Pourtant, c’est bien cette commission qui est officiellement l’autrice de ce communiqué polémique. « C’est Boroy qui l’a écrit, seul. Ceux qui s’y sont opposés ont été mis sur le côté », affirme la même source. « C’est facile de taper sur M. Boroy », balaie Sophie Crabette, directrice de la FNATH, l’association des accidentés de la vie, et membre de la commission permanente, « tout le monde a participé à ce communiqué, ce qui en ressort, c’est ce que les associations ont dit ».
Je ne suis pas dupe, ils n’en ont rien à foutre du handicap, ils nous ont tout simplement oubliés.
J. Boroy
De son côté, Jérémie Boroy répond à ses accusations en les rejetant vivement. « Jamais je n’ai dit (ou pas dit) quelque chose parce que je suis rémunéré. Personne ne m’empêche de dire ce qu’on a à dire et je ne me suis jamais privé de le faire », assure le président du CNCPH. Il assume toutefois que d’être nommé par le gouvernement implique parfois de « faire des courbettes ». « Mais c’est le jeu des institutions », sourit-il. Pour preuve, au bout d’une dizaine de minutes de discussion, il confie : « Je ne suis pas dupe, ils n’en ont rien à foutre du handicap, ils nous ont tout simplement oubliés, la réalité elle est là ». Là-dessus, finalement, tout le monde sera d’accord.