« La Chambre de Mariana » : voir sans être vu
Emmanuel Finkiel adapte un roman d’Aharon Appelfeld.
dans l’hebdo N° 1859 Acheter ce numéro

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La Chambre de Mariana / Emmanuel Finkiel / 2 h 11.
Après La Douleur (2017), tiré du texte éponyme de Marguerite Duras, Emmanuel Finkiel a adapté un roman d’Aharon Appelfeld, La Chambre de Mariana. Le cinéaste pensait en avoir fini avec cette période – déjà, son premier long métrage, Voyages (1999), avait pour protagonistes de vieux Ashkénazes hantés par la Shoah. Mais un élan nécessaire, lié à son histoire familiale, l’a à nouveau orienté vers cette époque.
L’adaptation du roman d’Appelfeld posait de sérieux problèmes de mise en scène s’annonçant comme des défis. La Chambre de Mariana raconte en effet l’histoire du jeune Hugo (Artem Kyryk) confié par sa mère juive, en 1943, dans l’Ukraine occupée, à une prostituée (Mélanie Thierry, étincelante, qui a appris l’ukrainien pour le rôle). Celle-ci a accepté de le cacher dans un placard de sa chambre. Comment développer un récit dans des espaces aussi exigus ? Que montrer, et à partir de quel point de vue ? Les solutions trouvées par Finkiel sont fécondes.
Imaginaire
À partir de peu – un trou dans une paroi, un bout de fenêtre… – Hugo voit une toute petite partie du monde : des soldats de la Wehrmacht en goguette, ou la vie heurtée de Mariana, alternativement dépressive et enjouée, mais toujours droite. Il entend aussi, et bien davantage (la bande-son a ici une importance singulière). Ce qu’il perçoit alimente son imaginaire, qui alterne avec sa mémoire, active dans son réduit, lui faisant revivre des scènes de sa vie d’avant, notamment de son anniversaire avec toute sa famille réunie.
Protégé par Mariana, le garçon est projeté dans la vie intime de la jeune femme, qui plus est au métier particulier, ponctué par la violence des clients, tous allemands en l’occurrence. Le film relève ainsi du roman d’apprentissage dans un contexte tragique et dans des circonstances où l’éveil à la sensualité, à la sexualité équivaut au maintien en vie du garçon qui, le temps que la guerre s’achève, devient un adolescent.
Le film est traversé par une éthique du regard qu’Emmanuel Finkiel porte depuis ses débuts.
Dans Voyages, Emmanuel Finkiel se refusait à filmer Auschwitz, au nom d’une impossibilité de la représentation des camps. Vingt-cinq ans plus tard, alors que Hugo se retrouve dehors, le cinéaste montre un charnier. La Chambre de Mariana est dominée par cette question de ce qui peut/doit être montré et vu dans des registres différents de gravité : l’intimité d’une femme, l’amour entre celle-ci et un jeune garçon, un assassinat de masse… En plus de l’émotion qu’il suscite, le film est traversé par une éthique du regard qu’Emmanuel Finkiel porte depuis ses débuts.
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