Pour Amnesty International, le droit international est plus que jamais mis à l’épreuve

L’ONG vient de publier son dernier rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde, pour l’année 2024. Une partie importante du rapport alerte sur les violations du droit international dans le cadre de conflits armés, notamment au Moyen-Orient.

Pierre Sinoir  • 29 avril 2025 abonné·es
Pour Amnesty International, le droit international est plus que jamais mis à l’épreuve
Des proches fêtent un prisonnier libéré de la prison d'Insein à l'occasion du nouvel an bouddhiste à Yangon, le 17 avril 2025. Le gouvernement militaire du Myanmar a déclaré qu'il allait libérer près de 5 000 prisonniers dans le cadre d'une amnistie à l'occasion des festivités du nouvel an dans le pays.
© Sai Aung MAIN / AFP

Dans la nouvelle édition du rapport d’Amnesty International qui couvre les problématiques de 150 pays, le premier volet s’ouvre avec une analyse de la fragilité du système international. Celle-ci est en grande partie liée à l’augmentation des violations du droit international dans le cadre de conflits armés, à Gaza, mais aussi au Soudan, en Ukraine, au Myanmar (Birmanie) et dans d’autres régions du monde.

Le rapport évoque également les résultats décevants de la COP29, la répression des manifestations en Turquie ou en Géorgie, et vis-à-vis des personnes qui montrent leur solidarité envers le peuple palestinien. Malgré les efforts d’une partie de la société civile qui tente de résister aux dérives autoritaires et de faire respecter le droit international, la situation reste alarmante, selon l’ONG. En voici quelques exemples.

Un génocide à Gaza

À Gaza, « c’est un génocide, et il doit s’arrêter », affirme sans détours la directrice régionale du bureau d’Amnesty International au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Heba Morayef. L’emploi du terme « crime de génocide » cité par Amnesty International et repris par d’autres ONG pour désigner la situation à Gaza est loin d’être anodin, comme en témoignent les chiffres évoqués dans le rapport.

Le 6 mai 2024, Israël a mené une opération militaire de grande ampleur à l’est de Rafah, « en dépit des avertissements quant aux conséquences humanitaires catastrophiques qu’elle risquait d’avoir et d’une ordonnance juridiquement contraignante de la Cour internationale de justice (CIJ) lui enjoignant de s’en abstenir ». En conséquence, 1,2 million de Palestinien.ne.s ont subi un déplacement forcé, alors même que la grande majorité avait « déjà été déplacée », précise le rapport.

Sur le même sujet : Gaza : le rapport d’Amnesty qui démontre le génocide

À cela s’ajoute le lourd bilan humain qui résulte des « attaques directes, disproportionnées ou aveugles par l’armée israélienne ». Sur l’année 2024, l’ONG compte « 23 000 décès supplémentaires, dont environ 60 % des personnes tuées étaient des femmes, des enfants et des personnes âgées », selon le Groupe Sectoriel Santé de l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) dans le territoire palestinien occupé, cité par Amnesty.

Les forces israéliennes ont également attaqué des hôpitaux, des professionnel.le.s de santé et du personnel humanitaire : seuls 17 des 36 hôpitaux de Gaza fonctionnaient encore, mais seulement en partie à la fin de l’année 2024. Pour Heba Morayef, la situation risque de « s’aggraver avec l’administration Trump », au vu des dernières prises de position du président américain sur ce sujet. En effet, Donald Trump a plusieurs fois évoqué sa volonté de prendre le contrôle de la bande de Gaza, tout en demandant à la Jordanie et l’Égypte d’accueillir temporairement des Palestiniens.

« Un crime d’apartheid »

La guerre menée par Israël dans la bande de Gaza a également entraîné une montée des tensions dans la région. Le conflit entre Israël et la branche armée du Hezbollah au Liban « a provoqué des pertes civiles et des déplacements massifs sans précédent ». Alors que le Hezbollah a tiré avec des roquettes non guidées dans le nord d’Israël, « en violation du droit international humanitaire », la réplique d’Israël a été d’une ampleur relevant parfois des crimes de guerre. « Nous avons documenté quatre cas au cours de l’année dans lesquels les frappes aériennes israéliennes illégales ont tué au moins 49 civils », détaille Heba Morayef.

En parallèle, selon le rapport, les autorités israéliennes se sont rendues coupables de « crimes d’apartheid », notamment en transférant de force la population palestinienne dans les territoires occupés, en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Selon l’ONG israélienne b’Tselem qui documente les violations des droits de l’Homme dans les territoires occupés et cité par Amnesty, « l’administration militaire israélienne a soumis la population à un transfert forcé en détruisant leurs logements ».

L’occupation illégale des territoires palestiniens par les colons israéliens a contraint l’Assemblée générale des Nations unies à adopter, en septembre 2024, une résolution « réclamant la fin de l’occupation de la Palestine par Israël dans les 12 mois ». Mais les quelques mesures prises pour appeler à un cessez-le-feu ont régulièrement été vouées à l’échec en raison du recours régulier du droit de veto par les États-Unis au Conseil de sécurité.

Les violences genrées toujours plus représentées

De plus, la multiplication des crimes internationaux s’est amplifiée à travers des exactions de différents ressorts. En Ukraine, la Russie a poursuivi « ses attaques au moyen de missiles et de drones contre des infrastructures civiles, dans des zones fortement peuplées d’Ukraine », selon Amnesty. De plus, le nombre d’exécutions par les forces russes a explosé : « Au moins 147 prisonniers.ères ukrainien.nes avaient été exécutés depuis 2022, dont 127 (soit près de 90%) en 2024 », selon les chiffres du rapport.

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Depuis 2022, le conflit opposant les FAR et les FAS au Soudan a, lui, plongé le pays dans une très grave crise humanitaire. « Avec 11 millions de déplacés à l’intérieur du pays en 2024, le Soudan était le théâtre de la plus grande crise au monde en matière de déplacement de population », détaille l’ONG.

Alors que les civils sont parfois la cible prioritaire de certains groupes armés, le rapport montre que les femmes et les filles sont particulièrement visées par les violences sexuelles et autres violences lors de conflits armés. Ainsi, en République centrafricaine, plus de « 11 000 cas de violences fondées sur le genre ont été signalés au cours du premier semestre », évoque l’ONG.

En Afghanistan, le régime des talibans au pouvoir a poursuivi les persécutions genrées, en promulguant en milieu d’année une «  loi sur la prévention du vice et de la vertu », qui interdit aux femmes de faire entendre leur voix en public et d’emprunter les transports sans être accompagnés par un homme. Enfin, dans la région d’Asie-Pacifique, le peuple des Rohingyas au Myanmar (Birmanie) a été victime d’exactions perpétrées par l’armée d’Arakan, une organisation ethno-nationaliste, en raison de leur ethnicité, soulignant ainsi le racisme systémique qui perdure dans les conflits.

Le rapport d’Amnesty International alerte ainsi sur la nécessité de faire respecter les décisions prononcées par les tribunaux internationaux, et de réformer le Conseil de sécurité de l’ONU, afin que l’usage des droits de véto ne puissent plus empêcher des mesures visant à « faire cesser des atrocités criminelles ou à offrir réparation pour de tels actes »

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