Le Pen : ce n’est que justice !

À force de plaindre Marine Le Pen, on en oublie la raison de son procès. Plus de quatre millions d’euros d’argent public détournés au profit de son parti politique. Lequel, en jouant la victimisation, nous a fait passer très vite de son procès à celui des juges.

Pierre Jacquemain  • 8 avril 2025
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Le Pen : ce n’est que justice !
Rassemblement contre l'extrême droite, organisé par La France insoumise (LFI) et Les Ecologistes, place de la République à Paris, le 6 avril 2025.
© Kiran RIDLEY / AFP

Parfois, l’histoire se répète. Alors qu’il était menacé d’inéligibilité, une manifestation de soutien à Jean-Marie Le Pen avait eu lieu dans les rues de Versailles, en 1998, comptant quelque 10 000 participants. 10 000 : c’est aussi le nombre de participants revendiqués dimanche dernier par les partisans de Le Pen fille, condamnée en première instance, et déclarée elle aussi inéligible – au moins jusqu’au procès en appel, du fait de l’exécution provisoire.

Au RN, si on ne défile pas pour les droits des travailleurs, on défile pour l’impunité des siens.

Ce n’est que justice, devrait-on dire unanimement ! Mais au RN, si on ne défile pas pour les droits des travailleurs, on défile pour l’impunité des siens. Ainsi la famille de la droite extrême et de l’extrême droite s’est donné rendez-vous pour contester une décision de justice. Même la nièce, Marion Maréchal, était de la partie place Vauban, à Paris, qui ne peut contenir que 5 000 participants. La place était à moitié vide. C’est dire si l’on manie aussi bien qu’on détourne les chiffres au RN.

À force de plaindre Marine Le Pen, on en oublie la raison de son procès. Plus de quatre millions d’euros d’argent public détournés au profit de son parti politique. Un système mis en place par Jean-Marie Le Pen et amplifié par sa successeuse. Avec quelques pépites : des emplois pour la sœur de Marine Le Pen, mère de Marion Maréchal. Mais aussi pour la plus fidèle des amies de l’ex-patronne du RN. Sans compter le secrétaire, le garde du corps et le majordome du patriarche.

Sur le même sujet : Dossier : Le Pen et le RN contre l’État de droit

Pour des salaires allant de 5 000 euros le mi-temps à 10 000 euros le temps plein. Broutille. L’employeur-payeur : le contribuable européen, via son Parlement. L’employé-fictif-bénéficiaire : le militant FN-RN et son parti. Que demande le peuple ! Le RN nous explique qu’il n’y a pas mort d’homme, qu’après tout il n’y a pas d’enrichissement personnel. À ce tarif-là, on en doute. Par ailleurs, si Marine Le Pen ne s’est pas enrichie, le parti, lui, s’est gavé et a traversé au moins deux élections présidentielles avec ces avantages détournés. Injuste, donc.

Le plus grave dans cette affaire, c’est, comme le dit si justement l’humoriste Waly Dia, qu’on est passé très vite du procès du RN au procès des juges. Mettant une cible sur le dos des magistrats. Une magistrate en particulier. « Ce n’est pas une décision de justice, c’est une décision politique », a affirmé Marine Le Pen, dénonçant « une chasse aux sorcières » et osant même se comparer à Martin Luther King. Rien que ça.

Une décision qui repose sur des années d’enquête. Une décision prise dans la collégialité.

Le registre de la victimisation, dans lequel le parti apprenti-fasciste a toujours excellé. Et qui parvient encore à émouvoir son public. Pas simplement Pascal Praud, Éric Naulleau ou Cyril Hanouna. Une grande partie de la classe médiatique a jugé « démesurée », « disproportionnée », la décision de justice. Une décision qui repose sur des années d’enquête. Une décision prise dans la collégialité. Trois magistrats qui ont prêté serment.

Sur le même sujet : À Paris, Marine Le Pen s’imagine en Martin Luther King face « aux forces du système »

Ainsi, on hurle d’effroi et de honte – pour la profession – en lisant les mots de Ruth Elkrief dans Le Parisien: « Chers juges, aidez-nous à défendre l’État de droit […]. Il n’était pas interdit d’être subtil, sans renoncer à appliquer la loi à Marine Le Pen ! », ose-t-elle, tout en subtilité. Une journaliste qui appelle les juges à ne pas appliquer la loi. Qui veut défendre l’État de droit, sans le Droit. Lunaire !

Comme le rappelle l’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira dans une tribune publiée sur notre site, « le peuple est souverain. Il est juge des compétitions électorales. Il n’est pas magistrat ». Petit rappel utile des règles démocratiques les plus élémentaires, que même une partie de la gauche semble désormais ignorer, voire contester. Et c’est fort dommageable !

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