Bétharram : la prescription en débat
Les débats autour de l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs reviennent avec la médiatisation de violences passées. Plusieurs poussent pour une proposition de loi transpartisane.
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© Thomas SAMSON / AFP
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Institution libre de Combrée : violence et silence Hugo Lemonier : « Nous avons une dette vis-à-vis des victimes »Chaque semaine, la ligne de défense de François Bayrou sur sa méconnaissance des faits de violences sexuelles au cœur de l’établissement catholique Notre-Dame-de-Bétharram s’étiole. Le dernier épisode en date est arrivé mercredi 23 avril, sur le plateau de l’émission « À l’air libre », de Mediapart. Invitée à échanger avec le lanceur d’alerte Alain Esquerre, la fille du premier ministre, Hélène Perlant, qui a dénoncé des faits de violences physiques par un prêtre lors d’un camp d’été dans les Pyrénées, a fragilisé encore plus l’argumentaire du Béarnais.
Hélène Perlant explique se souvenir d’une discussion avec son père, lui rapportant un échange avec le juge Christian Mirande, en 1998. Problème : en mars 2024 au Monde, en février 2025 à Mediapart et le 11 avril dernier, en marge d’un déplacement en Seine-et-Marne, François Bayrou a toujours affirmé n’avoir eu aucun contact avec le juge Mirande – par ailleurs son voisin de l’époque –, avant d’évoquer récemment un échange imprévu et court.
Acculé, le premier ministre devra répondre, le 14 mai, aux questions des membres de la commission d’enquête, et en particulier à celles du député insoumis du Val-d’Oise Paul Vannier, et de sa collègue Ensemble pour la République, élue dans le Nord, Violette Spillebout.
Barrière juridique
Mais, derrière le scandale politique touchant précisément la responsabilité de François Bayrou, d’autres questions se posent, et notamment celle de l’imprescriptibilité des crimes sexuels contre les mineurs. Ce 28 avril, le collectif Mouv’Enfants, piloté par l’ancien membre de la Civiise Arnaud Gallais, était reçu par des conseillers d’Emmanuel Macron. Enjeu de la réunion : pousser pour une proposition de loi transpartisane afin de supprimer le délai de prescription, aujourd’hui fixé à 30 ans dans le cadre du pénal à compter de la majorité de la victime.
C’était déjà l’une des 82 préconisations de la Civiise dans son rapport rendu en 2023. Les législateurs ont plusieurs fois voulu apporter cette demande dans le débat public – la prescription revenant souvent, auprès de l’opinion, comme l’image d’une barrière juridique empêchant la condamnation de l’auteur et la réparation de la victime.
En mai 2023, le sénateur LR Xavier Iacovelli dépose une proposition de loi en ce sens. Il est rejoint un an et demi plus tard, en décembre 2024, par Aurore Berger, qui défend actuellement ce texte en tant que ministre chargée de l’Égalité femmes/hommes. Sa proposition de loi a été amendée début avril par les sénateurs, qui ont préféré un délai de prescription de 30 ans pour les procédures civiles plutôt qu’une imprescriptibilité.
Plusieurs pays européens ont rendu imprescriptibles les crimes sexuels contre les mineurs.
Plusieurs pays européens ont rendu imprescriptibles les crimes sexuels contre les mineurs : la Suisse, le Danemark, les Pays-Bas et, depuis 2019, la Belgique. En France, les délais de prescription ont régulièrement été repoussés. D’une prescription de trois ans à compter de la majorité en 1989, nous sommes passés à 20 ans en 2004, puis 30 ans en 2018. En 2021, le principe d’une « prescription glissante » a été admis, lequel permet de faire compter le délai de la prescription à partir de la dernière infraction si l’auteur des faits a commis d’autres agressions sexuelles sur un autre mineur.
La question de l’amnésie post-traumatique
L’un des arguments avancés pour demander l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs repose sur le mécanisme d’amnésie post-traumatique. Popularisé par la psychiatre Muriel Salmona, cet état plonge la victime dans un oubli prolongé des violences qu’elle a subies, l’obligeant à enfouir ses douleurs avant qu’elles ne réapparaissent parfois des décennies plus tard. L’imprescriptibilité pourrait permettre à la justice de jouer son rôle malgré l’amnésie post-traumatique.
L’ancienneté des faits dénoncés par les victimes est un fil rouge parmi tous les établissements concernés.
Mais certains juristes, aussi, ont des doutes par rapport à cette mesure. Le premier réside dans le fait que l’imprescriptibilité, en droit français, ne concerne que les crimes contre l’humanité. Héritée du procès de Nuremberg, l’importance du principe de prescription trouve au moins deux explications : dans la contrainte que fait peser le temps sur les souvenirs des personnes concernées et sur les preuves matérielles, s’usant naturellement, et dans l’obligation pour la justice d’engager des poursuites dans un temps contenu.
Du reste, le travail des rapporteurs de la commission d’enquête montre que l’ancienneté des faits dénoncés par les victimes est un fil rouge parmi tous les établissements concernés. De nombreuses victimes n’osent pas franchir la porte d’un commissariat ou d’une gendarmerie, pensant que les faits ne pourront être traités par la justice. Contactée, Violette Spillebout révèle à Politis que sur cent témoignages reçus depuis la création de la commission d’enquête, le 19 février, une vingtaine de signalements au procureur ont été faits et quinze autres sont en cours de rédaction. Les débats sur la prescription ne font que (re)commencer.
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