« Ce que nous demandons n’est pas une faveur, c’est une nécessité »
Dominique est agent d’accueil et de surveillance au musée Gustave-Moreau. Il est entré en grève en octobre 2024 avec d’autres collègues pour dénoncer les conditions de travail dégradées.
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Dominique* est agent d’accueil et de surveillance au musée Gustave-Moreau. Il est entré en grève en octobre 2024 avec d’autres collègues – ils sont 9 sur un total de 15 agents – pour dénoncer les conditions de travail dégradées au sein de l’établissement culturel, entre sous-effectif, violences hiérarchiques et précarisation de l’emploi.
Le prénom a été modifié.
Je suis agent d’accueil et de surveillance au musée Gustave-Moreau, une maison-musée du XIXe siècle située dans le IXe arrondissement de Paris. Il y aurait beaucoup à écrire sur ce métier mal payé. Nos postes requièrent une grande polyvalence : accueil, vente, sécurité, billetterie, médiation, ouverture des salles, standard téléphonique… Sans nous, les musées n’ouvrent pas.
Pourtant, on y trouve peu de reconnaissance et, surtout, on y expérimente le mépris. Mépris de la part de visiteurs parfois violents, insultants ou racistes qui nous perçoivent comme des défouloirs ou des meubles à part entière. Mépris aussi de la part de notre hiérarchie et du ministère de la Culture, pour qui nous sommes de simples variables d’ajustement des politiques d’austérité qui accablent les services publics culturels ces dernières années.
Avant que tout ne bascule, je voyais notre musée comme un refuge où l’on désacralisait la culture et la performativité du monde du travail, tout en transmettant une véritable passion pour Gustave Moreau et son œuvre. J’allais au travail en me disant que j’allais rire avec mes collègues et de temps à autre me perdre dans les tableaux. J’aimais mon travail, j’aimais mon équipe et je me disais : pourvu qu’ils ne sachent jamais qu’on est heureux ici.
Ce qui s’est imposé à nous, c’est un dialogue impossible avec une direction brutale.
La direction en place depuis deux ans au sein de l’établissement a radicalement changé la donne. Ce qui s’est imposé à nous, c’est un dialogue impossible avec une direction brutale, sourde à nos revendications, qui préfère imposer des décisions sans concertation, qui réagit par la violence verbale et par des menaces contre les grévistes. Des cris ont résonné dans les couloirs du musée, des hurlements qui déshumanisent le personnel, des changements de planning imposés sans consultation, sans respect des instances représentatives et avec un dédain total envers le travail et la dignité des agents.
Du jour au lendemain, on s’est retrouvés à devoir fermer la moitié des salles du musée à cause du sous-effectif engendré par les réorganisations de notre jeune direction, qui ne voulait plus embaucher. Les visiteurs ne comprenaient pas l’absurdité de maintenir un musée à moitié ouvert. Nous étions contrôlés, surveillés. On sentait que les membres de la direction n’aimaient pas nous voir heureux au travail, nous voir rire, voir que nous n’étions plus des collègues mais des amis, ils auraient aimé nous voir suspicieux les uns envers les autres. La paranoïa s’est installée. On fermait les portes par peur d’être entendus. Les arrêts maladie se sont multipliés, puis les départs et la souffrance aussi, au fur et à mesure que je les voyais dépecer notre petite poche d’utopie.
Certains d’entre nous vivent cette situation avec encore plus de difficulté : nos collègues contractuels, à qui l’on fait signer sous la pression des contrats au mois, sont maintenus dans une précarité injuste, sans possibilité de se projeter, dans l’angoisse constante d’un non-renouvellement alors même qu’ils accomplissent, parfois depuis plusieurs années, les mêmes missions indispensables que leurs collègues fonctionnaires.
Le 4 octobre 2024, un préavis de grève a été déposé par les agents d’accueil et de surveillance. Il a déjà été reconduit deux fois, dans l’espoir de voir enfin des avancées concrètes. Mais à ce jour aucun changement réel n’a eu lieu, à part l’installation de protections hygiéniques dans les sanitaires. Ce que nous demandons n’est pourtant pas une faveur, c’est une nécessité : de meilleures conditions de travail, des postes supplémentaires, des CDI pour nos collègues précaires, des horaires respectueux des agents et de leur bien-être.
Montrer que l’altruisme et la force du collectif se dressent encore contre les intérêts rampants des démanteleurs du service public.
Il est essentiel de rappeler que faire grève n’a rien d’une pause ni d’un congé. Chaque jour de mobilisation se traduit par une perte de salaire pour les agents engagés, qui doivent en plus affronter la pression constante et les manœuvres hostiles de leur hiérarchie. Ceux qui font le choix de la grève sont vite étiquetés comme des agitateurs. Ils sacrifient leur revenu, parfois même mettent leur poste en danger. Ce sacrifice, ils l’assument pleinement par conviction. Car cette décision est avant tout un acte de courage, un choix nécessaire pour défendre la dignité de notre métier et faire reconnaître notre valeur, montrer que l’altruisme et la force du collectif se dressent encore contre les intérêts rampants des démanteleurs du service public.
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