Corps de rêve : quand l’extrême droite dicte les normes esthétiques
Corps tonique, mince, reproductif et blanc : de la tradwife aux réseaux sociaux, comment l’extrême droite tente d’imposer une esthétique réactionnaire et hygiéniste.

© Unsplash
En mars dernier, les images de la secrétaire à la Sécurité intérieure des États-Unis, posant devant des prisonniers vénézuéliens déportés vers un centre pénitentiaire du Salvador, sont devenues virales. Look glamour. Maquillage prononcé. Longue chevelure ondulée. Rolex, pantalon slim et tee-shirt moulant. L’image de ce corps parfait exposé devant des hommes non-blancs, torse nu, mis en cage, est apparue comme le symbole du modèle de féminité qui domine les politiques néoréactionnaires.
Les langages et les images des industries de la mode et de la beauté s’adaptent très bien à l’atmosphère culturelle produite par l’extrême droite dans le monde occidental. Au-delà de l’obsession de la minceur, des prescriptions esthétiques âgistes, toute une culture du corps eugéniste et autoritaire s’immisce dans les modes de consommation de la beauté et du bien-être.
Cette conception hygiéniste, raciste, classiste et transphobe de la féminité s’affirme contre le modèle du corps improductif de la femme de gauche
De la tradwife à la chanteuse country
Elle circule dans les médias populaires, amplifiée par les algorithmes, dans le luxe, ou les sphères politiques, artistiques. L’univers Maga aux États-Unis la recycle ad nauseam. De la tradwife à la chanteuse country, jusqu’aux tendances « girlboss », les idées réactionnaires sont incarnées par une esthétique corporelle genrée aisément identifiable : corps tonique, mince ; cheveux raides, longs (idéalement blonds) ; peau blanche ; maquillage prononcé ; chirurgie esthétique ; efficience productive et reproductive (le corps qui produit des richesses est aussi celui qui enfante).
Cette conception hygiéniste, raciste, classiste et transphobe de la féminité s’affirme contre un modèle repoussoir : celui du corps improductif de la femme de gauche – « fauchée » (broke), « laide » (ugly), « pas rasée » (female armpit hair) – pour reprendre les termes d’un musicien conservateur sur Fox News. Le corps des « femmes laides » décrivant finalement l’ensemble du corps politique situé à gauche, moche, non-blanc, sale et pauvre.
Cette esthétique réactionnaire agressive n’est pas exclusive à l’Amérique blanche. On se rappelle les sorties, en France, contre « la gauche sale et débraillée qui crie partout », visant à disqualifier la Nupes. Les propos sur les « punks à chiens » sur les bancs situés à gauche de l’Assemblée nationale, ou encore sur la « ménopause » d’une politicienne féministe médiatique…
Véhicules idéologiques
Ces discours implicitement ou explicitement genrés sont compatibles avec l’esthétique « filtre » des réseaux sociaux qui les imposent massivement. Ils ringardisent un activisme intersectionnel de type nappy, anti-grossophobie ou body-positif, qui refuse que la différence conduise à une existence recluse, où on ne s’expose pas publiquement, où on ne peut ni s’aimer ni l’être en retour.
Cette « déchettisation » de la différence trouve dans la représentation du corps des femmes son terrain d’expression favori, faisant de la mode, des tutos maquillage, des vidéos de fitness ou de lifestyle des véhicules idéologiques redoutablement efficaces, jouant sur notre image sociale et nos désirs.
Qui rêve de mourir sans famille, sans ami·es, entouré de chats ? D’être moche, démuni et sale ? Ces questions peuvent apparaître ridicules, mais elles nourrissent un système de représentations affectives et genrées qui est un des fonds de commerce de l’extrême droite. Il faut s’y opposer avec énergie. Et réveiller les puissances libératrices du difforme, de l’inassimilable, de l’improductif, des monstres et autres figures impures et merveilleuses, dans la formation d’imaginaires et de pratiques anti-autoritaires, vivantes et féroces.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un DonPour aller plus loin…

« Fanon » ou la contre-culture décoloniale

Déni et islamophobie

La France et la justice sociale de convenance
