Corps de rêve : quand l’extrême droite dicte les normes esthétiques

Corps tonique, mince, reproductif et blanc : de la tradwife aux réseaux sociaux, comment l’extrême droite tente d’imposer une esthétique réactionnaire et hygiéniste.

Nadia Yala Kisukidi  • 20 mai 2025
Partager :
Corps de rêve : quand l’extrême droite dicte les normes esthétiques
De la tradwife aux réseaux sociaux, comment l’extrême droite tente d’imposer une esthétique réactionnaire et hygiéniste.
© Unsplash

En mars dernier, les images de la secrétaire à la Sécurité intérieure des États-Unis, posant devant des prisonniers vénézuéliens déportés vers un centre pénitentiaire du Salvador, sont devenues virales. Look glamour. Maquillage prononcé. Longue chevelure ondulée. Rolex, pantalon slim et tee-shirt moulant. L’image de ce corps parfait exposé devant des hommes non-blancs, torse nu, mis en cage, est apparue comme le symbole du modèle de féminité qui domine les politiques néoréactionnaires.

Les langages et les images des industries de la mode et de la beauté s’adaptent très bien à l’atmosphère culturelle produite par l’extrême droite dans le monde occidental. Au-delà de l’obsession de la minceur, des prescriptions esthétiques âgistes, toute une culture du corps eugéniste et autoritaire s’immisce dans les modes de consommation de la beauté et du bien-être.

Cette conception hygiéniste, raciste, classiste et transphobe de la féminité s’affirme contre le modèle du corps improductif de la femme de gauche

De la tradwife à la chanteuse country

Elle circule dans les médias populaires, amplifiée par les algorithmes, dans le luxe, ou les sphères politiques, artistiques. L’univers Maga aux États-Unis la recycle ad nauseam. De la tradwife à la chanteuse country, jusqu’aux tendances « girlboss », les idées réactionnaires sont incarnées par une esthétique corporelle genrée aisément identifiable : corps tonique, mince ; cheveux raides, longs (idéalement blonds) ; peau blanche ; maquillage prononcé ; chirurgie esthétique ; efficience productive et reproductive (le corps qui produit des richesses est aussi celui qui enfante).

Sur le même sujet : « Fanon » ou la contre-culture décoloniale

Cette conception hygiéniste, raciste, classiste et transphobe de la féminité s’affirme contre un modèle repoussoir : celui du corps improductif de la femme de gauche – « fauchée » (broke), « laide » (ugly), « pas rasée » (female armpit hair) – pour reprendre les termes d’un musicien conservateur sur Fox News. Le corps des « femmes laides » décrivant finalement l’ensemble du corps politique situé à gauche, moche, non-blanc, sale et pauvre.

Cette esthétique réactionnaire agressive n’est pas exclusive à l’Amérique blanche. On se rappelle les sorties, en France, contre « la gauche sale et débraillée qui crie partout », visant à disqualifier la Nupes. Les propos sur les « punks à chiens » sur les bancs situés à gauche de l’Assemblée nationale, ou encore sur la « ménopause » d’une politicienne féministe médiatique…

Véhicules idéologiques

Ces discours implicitement ou explicitement genrés sont compatibles avec l’esthétique « filtre » des réseaux sociaux qui les imposent massivement. Ils ringardisent un activisme intersectionnel de type nappy, anti-grossophobie ou body-positif, qui refuse que la différence conduise à une existence recluse, où on ne s’expose pas publiquement, où on ne peut ni s’aimer ni l’être en retour.

Sur le même sujet : Les femmes politiques ne sont pas vos amies

Cette « déchettisation » de la différence trouve dans la représentation du corps des femmes son terrain d’expression favori, faisant de la mode, des tutos maquillage, des vidéos de fitness ou de lifestyle des véhicules idéologiques redoutablement efficaces, jouant sur notre image sociale et nos désirs.

Qui rêve de mourir sans famille, sans ami·es, entouré de chats ? D’être moche, démuni et sale ? Ces questions peuvent apparaître ridicules, mais elles nourrissent un système de représentations affectives et genrées qui est un des fonds de commerce de l’extrême droite. Il faut s’y opposer avec énergie. Et réveiller les puissances libératrices du difforme, de l’inassimilable, de l’improductif, des monstres et autres figures impures et merveilleuses, dans la formation d’imaginaires et de pratiques anti-autoritaires, vivantes et féroces.

Tout Politis dans votre boîte email avec nos newsletters !
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

« Fanon » ou la contre-culture décoloniale
Intersections 12 mai 2025

« Fanon » ou la contre-culture décoloniale

Dans son film, Jean-Claude Flamand-Barny remet en lumière Frantz Fanon et sa pensée décoloniale, encore trop marginalisée. Plus qu’un simple biopic, le film questionne la domination culturelle et souligne l’urgence de faire émerger des récits racisés dans le paysage cinématographique français.
Par Juliette Smadja
Déni et islamophobie
Intersections 6 mai 2025

Déni et islamophobie

Tué de 57 coups de couteau alors qu’il priait dans une mosquée, Aboubakar Cissé n’a pas suscité l’unanimité nationale dans le deuil. Face à l’indifférence politique, à la négation de l’islamophobie et au « deux poids deux mesures » dans la reconnaissance des victimes, la sociologue Hanane Karimi interroge la responsabilité d’un État qui peine à nommer la haine lorsqu’elle vise les musulman·es.
Par Hanane Karimi
La France et la justice sociale de convenance
Intersections 29 avril 2025

La France et la justice sociale de convenance

En mars dernier, Raphaël Glucksmann demandait aux États-Unis de rendre la statue de la Liberté, offerte par la France en 1886. Une sortie révélatrice de l’anti-impérialisme des politiques français·es lorsqu’il s’agit des États-Unis et qui permet de se poser en moraliste, derrière un écran de fumée révisionniste historique.
Par Fania Noël
Ce qu’attaquer les femmes trans signifie
Intersections 22 avril 2025

Ce qu’attaquer les femmes trans signifie

Mimi Aum Neko, coprésidente de l’association Acceptess-T, lance un cri d’alarme sur la montée des violences et attaques transphobes, auxquelles participent les institutions, comme la Cour suprême britannique avec sa récente décision  sur la définition légale de « femme ».
Par Mimi Aum Neko