À Mer, une muraille de plateformes logistiques

En périphérie de cette ville industrielle, des entrepôts poussent sur d’anciennes terres agricoles devenues constructibles. Gage d’attractivité économique, ils soutiennent des activités polluantes et dissimulent un nouveau système de spéculation immobilière.

Vanina Delmas  • 28 mai 2025 abonné·es
À Mer, une muraille de plateformes logistiques
© Pickawood / Unsplash

ll y a une trentaine d’années, la ville de Mer (Loir-et-Cher) était encore connue pour son usine de matelas Epéda. Ouverte en 1937, elle employait près de 900 personnes dans les années 1970, et encore 294 en 1999, lorsque la société a décidé la fermeture de cette fabrique située au cœur de la Beauce. Au tournant des années 2000, les élus de cette petite ville ouvrière décident d’y installer une zone d’activités, afin d’exploiter ses grands espaces en périphérie de la ville, idéalement situés en bordure de l’autoroute A10.

Les choix se tournent d’abord vers des industries en lien avec l’activité agricole, comme l’installation du fabricant de matériel agricole John Deere. Puis, rapidement, le secteur de la logistique prend de l’ampleur, avec un premier projet de plateforme logistique, porté par Prologis, qui implante 180 000 m2 d’entrepôts, donnant naissance au parc d’activités des Portes de Chambord. Mais celui-ci n’a de royal que le nom.

Aujourd’hui, on compte une douzaine d’entrepôts logistiques sur la commune de Mer, qui vont de 20 000 m2 à 75 000 m2.

N. Petit

« Aujourd’hui, on compte une douzaine d’entrepôts logistiques sur la commune de Mer, qui vont de 20 000 m2 à 75 000 m2 pour le plus grand. Et six autres sont en projet de part et d’autre de l’autoroute », précise Noé Petit, militant écologiste et président de l’association À bas le béton, créée en 2021 pour tenter de s’opposer à cette nouvelle cascade de bâtiments géants. Entre la ville et l’autoroute, d’anciennes terres agricoles ont été rendues constructibles dans les années 2000, permettant aux entrepôts de voir le jour. L’association pointe la surconcentration d’entrepôts logistiques « pour des raisons de sécurité, car le risque d’incendie et de propagation entre les cellules n’a pas été pensé et anticipé ».

« Plus de 60 terrains de foot ! »

De l’autre côté de l’autoroute, un projet prévoit de s’implanter sur 44 hectares pour ériger trois bâtiments de 100 000 m2, 40 000 m2 et 20 000 m2, « soit plus de 60 terrains de foot ! ». L’association dénonce en premier lieu la destruction de terres agricoles et d’un bois. En octobre dernier, le tribunal administratif d’Orléans a jugé que ce ­projet de plateforme logistique, porté par la société Panhard Développement, était une atteinte excessive à l’utilisation économe des espaces naturels, agricoles et forestiers. Et d’ajouter qu’il ne répondait pas aux enjeux de la loi climat et résilience. La société a dix mois pour revoir sa copie et « compenser l’artificialisation des sols induite par le projet ». Durant cette période, les travaux sont gelés.

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Un autre projet semble plus intéressant d’un point de vue environnemental, car il est fondé sur la réhabilitation entière de friches. Mais l’étalement urbain s’étant accéléré ces dernières années, le projet de plateforme de 3 000 m2 se situera à moins de 100 mètres d’une centaine d’habitations. « Des riverains auront vue depuis leur jardin sur un bâtiment de 15 mètres de haut, avec plus de 900 camions passant chaque jour sous leurs fenêtres, indique Noé Petit. Les nuisances quotidiennes liées à ces plateformes logistiques sont multiples, notamment pour les habitations les plus proches : la pollution de l’air, la pollution lumineuse, car les entrepôts restent allumés la nuit, la pollution sonore liée au ballet des poids lourds et aux pompes à chaleur qui tournent en permanence. »

Plateforme logistique Mer Portes de Chambord
Le parc d’activités des Portes de Chambord, dans le Loir-et-Cher, et ses 180 000 mètres carrés d’entrepôts. (Photo : Arthur Loyd Blois.)

Émissions de CO2, artificialisation des sols

Sur le plan environnemental, le secteur de la logistique représente au moins 16 % des émissions de gaz à effet de serre en France, soit 63 millions de tonnes équivalent CO2, selon l’Ademe. L’entreposage et le transport de marchandises représentent également une source importante d’artificialisation des sols : environ 4 % de la superficie totale en France entre 2010 et 2019, avec une accélération nette (5,9 % en 2019 contre 2,7 % en 2010). Le boom de la logistique ces dix dernières années s’explique par une mondialisation qui ne cesse de croître, un essor sans commune mesure de l’e-commerce et l’externalisation des entrepôts.

C’est une vraie bataille politique !

N. Petit

Après le traumatisme économique des années 2000 vécu par les habitants de Mer, et dans le contexte socio-­économique actuel, les promesses de recettes fiscales et de créations d’emplois séduisent les collectivités locales. Le secteur du transport et de la logistique revendique 1,8 million d’emplois en France, dont 95 % en CDI et à temps complet. À Mer, la ZAC des Portes de Chambord déclare 700 emplois dans la logistique sur 1 600 au total. Les entrepôts déjà existants abritent ColiPoste, Mondial Relay, des marques d’équipement de la maison et du jardin comme Aosom, Lapeyre, But, mais aussi DB Schenker et Mitsubishi Electric, le groupe Deret, Catella, Prologis, etc.

ZOOM : Des centrales photovoltaïques au sol

Sur les causses du Quercy, sur la montagne de Lure en Provence, dans une forêt du Maine-et-Loire ou de Gironde, dans tout le département de la Nièvre : les projets grignotant des dizaines ou des centaines d’hectares pour installer des panneaux photovoltaïques se multiplient depuis une dizaine d’années. Plus de 200 000 installations ont été raccordées au réseau électrique en 2023, soit plus du double qu’en 2022, et cela devrait encore s’accélérer.

Afin d’atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050, l’énergie solaire est un pilier de la transition énergétique. Se pose une question de fond : peut-on développer massivement l’énergie solaire tout en préservant la biodiversité ? Le Conseil national de la protection de la nature (CNPN), instance d’expertise scientifique et technique, s’est autosaisi sur le sujet et a rendu un avis en septembre 2024. Il appelle à prendre en compte « toutes les dimensions environnementales, notamment le maintien des espèces et de leurs habitats, et la diversité des interactions à l’œuvre dans les écosystèmes ».

Le CNPN précise être régulièrement saisi « pour avis sur des projets photovoltaïques ayant une incidence sur des espèces protégées dites “de compétence nationale”, dont les populations sont menacées d’extinction ou en déclin notable » et s’inquiète « des projets aux emprises de plus en plus grandes [qui] émergent dans des habitats de prairies, de landes, de forêts, de lacs, de zones humides comme d’espaces agricoles, y compris au sein d’aires protégées ».

V. D.

Les opposants aux plateformes logistiques dénoncent la forte pénibilité et la précarité des emplois, avec des salaires bas et un recours à l’intérim important. Et aussi le manque de transparence sur les enseignes qui seront effectivement présentes dans les bâtiments. En effet, des professionnels de l’immobilier logistique s’arrachent les espaces disponibles, sans préciser à qui seront loués les locaux et sans informer les habitants.

Capitalisme de la logistique

Dans leur rapport d’information sur les incidences du déploiement des grands entrepôts logistiques réalisé en 2023, les députés Charles Fournier (Écologiste et Social) et Sandra Marsaud (Ensemble pour la République) constatent « l’émergence d’un “capitalisme des lieux logistiques” avec la structuration de grandes firmes internationales spécialisées dans l’immobilier logistique [qui] acquièrent un pouvoir significatif dans l’allocation des espaces logistiques, influençant à la fois les utilisateurs d’entrepôts et les décisions politiques locales ».

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Une spéculation foncière qui semble s’accélérer depuis l’adoption de l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) à l’horizon 2050, inscrit dans la loi climat et résilience. Au risque d’acquérir un maximum de foncier pour aboutir à des bâtiments sous-exploités, voire vides.

L’association À bas le béton précise qu’elle n’est pas contre les entrepôts par principe mais essaye de mettre au jour le système dissimulé. « La question de fond est : “quel développement local voulons-nous ?” clarifie Noé Petit, également étudiant en géographie et aménagement du territoire. On préférerait avoir des terrains pour installer des entreprises manufacturières, de l’artisanat, des industries plus vertueuses pour relocaliser la production, ce qui pourrait créer des emplois durables, diversifiés et non délocalisables. C’est une vraie bataille politique ! »

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Écologie
Publié dans le dossier
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Temps de lecture : 6 minutes