Comment le capitalisme nous vole
L’extension de la logique capitaliste à toutes les sphères de la vie conduit à une perte de maîtrise de soi, où la conscience d’être exploité s’estompe peu à peu.
dans l’hebdo N° 1862 Acheter ce numéro

Des décennies de néolibéralisme ont diffusé l’idée que la richesse serait créée par les entreprises et l’initiative individuelle, occultant le rôle central du travail dans la création de valeur. Pourtant, la théorie de la valeur-travail, d’Adam Smith à Karl Marx, explique que seul le travail est source de richesse, levant la confusion entre le lieu de création de la valeur (l’entreprise) et l’auteur réel de cette richesse (le travailleur).
Smith a montré que la valeur d’un bien repose sur la quantité de travail nécessaire à sa production, distinguant « valeur en usage » et « valeur d’échange », affirmant que « le travail est la mesure réelle de la valeur échangeable de toute marchandise ». Smith avait compris l’asymétrie entre les propriétaires des moyens de production (les capitalistes dans notre langage moderne) et les travailleurs, mais, même si ces derniers ont besoin de capital et d’outils pour produire, c’est leur travail qui constitue la source première de la richesse.
Marx a approfondi et politisé la théorie de la valeur-travail. Il reprend le principe selon lequel la valeur d’une marchandise dépend du temps de travail moyen requis pour la produire, mais va plus loin en dénonçant le « fétichisme de la marchandise », la croyance que la valeur découle naturellement de l’échange, alors qu’elle est en réalité le produit de rapports sociaux de production et de consommation.
Les techniques de captation de la richesse produite par le travail se perfectionnent avec les nouveaux modes de management.
Selon lui, le capitaliste s’approprie une partie du travail du salarié sous forme de plus-value. Le salaire ne rémunère que le strict nécessaire à la survie du travailleur, tandis que la valeur supplémentaire créée par le surtravail est captée par le capitaliste. Ce mécanisme constitue, selon Marx, la première forme de vol inhérente au capitalisme.
Le capital soumet donc le travail à travers ce que Marx nomme la subsomption, un processus de domination qui a évolué en deux étapes. D’abord, la subsomption formelle correspond à la période où le capitaliste acquiert la « libre » disposition de la force de travail par le contrat salarial, créant une dépendance monétaire du travailleur sans transformer fondamentalement le contenu du travail lui-même. Ensuite, la subsomption réelle intervient lorsque le capital s’immisce au cœur même du procès de production, rationalisant, organisant et mécanisant le travail, imposant ainsi une dépendance accrue du travailleur aux conditions techniques et organisationnelles du capital.
Aujourd’hui, une troisième forme de soumission émerge, appelée « mobilisation totale » par André Gorz, la subsomption intégrale de la vie. Ce n’est plus seulement la force de travail qui est mobilisée, mais la totalité de l’être – force physique, subjectivité, imaginaire, émotions. La frontière entre temps de travail et temps hors travail s’efface ; l’individu est sommé d’être productif en permanence, même en dehors de l’entreprise. Cette extension de la logique capitaliste à toutes les sphères de la vie conduit à une perte de maîtrise de soi, où la conscience d’être exploité s’estompe peu à peu.
Ces trois formes de subsomption cohabitent à différentes échelles. Les techniques de captation de la richesse produite par le travail se perfectionnent avec les nouveaux modes de management mais conservent un point commun : faire disparaître la responsabilité du capital dans l’exploitation et entretenir l’illusion que c’est lui qui crée la valeur.
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