« La gauche doit quitter ses bureaux et lutter avec nous »
Alhassane, 16 ans, est délégué du collectif des jeunes mineur·es non accompagné·es du parc de Belleville. Le 18 mars, il a été expulsé de la Gaîté lyrique, à Paris, comme 450 autres personnes. Il revient sur cet événement et livre son analyse sur l’accueil des personnes étrangères en France.
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© Maxime Sirvins
Originaire de Guinée, Alhassane, 16 ans, a rejoint les jeunes mineur·es non accompagné·es du parc de Belleville, il y a cinq mois, lorsqu’il est arrivé en France. Il est depuis devenu délégué de leur collectif. Ils étaient 450 à occuper la Gaîté lyrique jusqu’au 18 mars.
Que s’est-il passé le 18 mars, jour de l’expulsion de la Gaîté lyrique ?
Alhassane : Les policiers sont venus vers 5 heures du matin et nous ont dit qu’on avait jusqu’à 6 heures pour évacuer. Mais ils n’ont pas attendu 6 heures pour ça. Ils auraient au moins pu nous laisser le temps de récupérer nos affaires. Puis, très vite, ils ont commencé à devenir violents, à nasser tout le monde jusqu’à ce qu’ils nous matraquent et nous lancent du gaz lacrymogène. C’était horrible. Ils ont fini par embarquer certains jeunes. Mais ils ne se sont pas arrêtés là, ils savent qu’il y a des endroits où on se regroupe comme le parc de Belleville, le pont Marie, le Centre Pompidou et ils ont aussi ciblé ces lieux.
À chaque fois que les jeunes vont dans un de ces lieux, quelques minutes après, la police débarque. Les jeunes et des personnes venues les soutenir ont été emmenés au commissariat. Les policiers ont trié : les Blancs d’un côté, les jeunes de l’autre. Les Blancs sont restés une ou deux heures et ont été libérés. Les jeunes, eux, sont restés jusqu’à minuit ou une heure. Ils ont été libérés avec des obligations de quitter le territoire français (OQTF). L’objectif des autorités est de casser le collectif parce qu’elles savent qu’il y a de la solidarité et qu’elle prend de l’ampleur. Elles ont un peu réussi car on n’arrive pas à remobiliser. Quand on appelle à la manifestation, peu de jeunes viennent, ils ont peur.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il va se passer pour les 24 jeunes sous OQTF ?
C’est une mairie qui se dit de gauche mais qui ne l’est vraiment pas.
Alhassane
Ils sont terrifiés, ils ont peur et ne savent pas quoi faire. Mais le collectif a engagé des avocats qui peuvent les aider. Toutes les audiences sont tombées. La première la première aura lieu la semaine prochaine et les autres suivront régulièrement en juin [les dates seront précisées sur le compte Instagram du collectif, N.D.L.R.]. On espère qu’elles vont sauter car ce sont des OQTF illégales. Pour certains des jeunes, la police a modifié la date et le lieu de naissance et même la nationalité. Donc il suffit d’aller à l’audience et de les faire annuler.
Pour moi, la police n’est pas faite pour dire si tu es mineur ou pas, elle est là simplement pour te contrôler. Le reste, c’est le rôle du département et du juge des enfants. Il y avait des jeunes qui avaient leur carte consulaire délivrée par l’ambassade. Normalement la police n’aurait pas dû donner ces OQTF.
Quel rôle a joué la mairie de gauche dans l’expulsion ?
Ils nous ont abandonnés. S’ils avaient pris leurs responsabilités, ça ne serait pas arrivé. Nous savons tous que la préfecture et l’État sont racistes, comme Bruno Retailleau, François Bayrou, etc. Ils ne nous aiment pas donc ils nous veulent du mal. S’il y a bien quelqu’un qui pouvait nous aider, c’était la mairie. La mission d’urgence nous a dit qu’elle pouvait faire quelque chose mais qu’en contrepartie on devait aller au tribunal. On y est allés en disant « on a fait ce que vous voulez, maintenant on attend votre proposition ». Mais la mairie n’a rien fait. La préfecture a repris le dossier et a pris l’arrêté. Quand on a été expulsés, Anne Hidalgo a dit : « C’est ça qu’il fallait faire. » C’est une mairie qui se dit de gauche mais qui ne l’est vraiment pas.
À la Gaîté lyrique, plusieurs fois, l’extrême droite est venue vous intimider. Est-ce que ça continue ?
Ils savent où se trouvent les jeunes. La Gaîté lyrique était leur cible parce que pour eux ça n’était pas normal qu’on ait un toit. Ils tractaient devant la Gaîté, et quand ils venaient, on sortait leur dire qu’il y a beaucoup d’autres endroits où tracter, où il y a plus de monde. Ils n’ont pas compris et revenaient chaque samedi. C’étaient les partisans de Reconquête ! d’Éric Zemmour. On sortait, nous aussi, avec nos tam-tam et nos djembés, et on chantait. On les repoussait comme on pouvait.
Tout ce qu’ils voulaient, c’est qu’on se jette sur eux pour dire ensuite qu’on était des sauvages et qu’on était violents, mais on avait compris leur piège. Un jour, ils étaient une quarantaine de personnes à Strasbourg-Saint-Denis [un quartier parisien, N.D.L.R.], accompagnées par la police, et ça c’est inacceptable. Même à Paris, en plein centre-ville, on rencontre des gens qui sont racistes. Mais ça ne nous empêche pas de vivre et de rester calmes.
Nous avons mis en place une coordination qui comprend déjà les collectifs de dix villes.
Alhassane
Beaucoup de médias ont parlé de l’occupation par votre collectif de la Gaîté lyrique. Ensuite, que s’est-il passé du point de vue de la visibilité ?
Quand on était à la Gaîté, il y avait beaucoup de radios et de télés. Maintenant, ce que je remarque, c’est qu’il y a moins d’écrits, comme les médias avaient eu ce qu’ils voulaient. On a compris que, de toute façon, si tu ne fais pas valoir ton droit, si tu restes juste là, personne ne va s’occuper de toi. Pour avoir ce qu’on veut, c’est-à-dire le logement, l’intégration, l’école, la santé, et être accepté comme tel, il faut lutter. C’est la seule solution. L’État a le dernier mot, c’est le plus fort.
Vous essayez aussi de mobiliser au niveau national et avec d’autres luttes, pouvez-vous nous expliquer vos actions ?
Notre but, c’est de visibiliser la lutte, et pas seulement à Paris. À la Gaîté, on a appelé d’autres villes, d’autres jeunes. Ils vivent la même chose. Ce n’est pas qu’à Paris qu’on est pourchassés. On est pourchassés dans toute la France. Nous mettons des choses en place. On fait des réunions régulièrement. On est allés à Lille au début du mois pour faire un atelier. On essaye de s’organiser, de ramener un peu les élus de chaque ville, parce qu’il y a peut-être des gens qui ont un poids et qui peuvent nous aider. On les met en contact.
Nous avons mis en place une coordination qui comprend déjà les collectifs de dix villes. On a aussi des dates de manifestations nationales : le dernier jour du bac et deux jours avant la fête nationale. On se dit que le 14-Juillet est une journée importante, la France a gagné la liberté. C’est pour dire qu’il y a encore des gens qui sont stigmatisés à cause de leur religion ou de leur couleur de peau. C’est aussi l’occasion de dire qu’on n’est pas d’accord avec la politique du gouvernement. On parle d’islamophobie, de xénophobie. Partout où le droit n’est pas respecté, on est concernés. Partout où on lutte pour l’égalité des droits, on a notre place.
Avez-vous des liens avec des collectifs de sans-papiers et ceux qui ont fait d’autres occupations ?
Nous sommes membres aussi de l’intercollectif des sans-papiers. On travaille ensemble. Ils ont des choses à nous dire, à nous apprendre. Ce sont nos aînés, ils étaient là avant nous. On leur demande conseil.
Que voulez-vous dire aux gens qui ne connaissent pas votre lutte et voudraient vous soutenir ?
Il faut comprendre qu’administrativement, c’est très compliqué d’être reconnus comme mineurs. Le département ne prend pas en compte nos papiers d’identité. C’est comme si la France manquait de respect à nos pays. Certains d’entre nous ont les passeports, les cartes d’identité, les actes de naissance authentifiés et délivrés par nos pays, et une fois ici on nous explique qu’ils ne sont pas valables. C’est leur seul argument pour dire qu’on n’est pas mineurs.
On a essayé de lutter pour trois choses principales : le logement, l’accès à la santé et la scolarisation.
Alhassane
Ensuite, tu attends au moins six mois ton audience. Parfois, le juge dit qu’il faut aller à l’ambassade, mais certains pays n’ont pas d’ambassade ici. C’est une manière de bloquer les jeunes. On arrive à s’en sortir, mais c’est un casse-tête. Si les gens veulent en savoir plus, il faut suivre notre compte Instagram @belleville.mobilisation. Ceux qui veulent nous soutenir peuvent participer à nos manifestations et à nos assemblées générales.
Comment remobiliser les jeunes découragés ?
Dans le collectif, parfois tu te poses des questions : « Pourquoi suis-je là ? » Avec ceux qui ne sont pas découragés ou dans la lutte, on va les voir, on fait des maraudes dans les campements. La plupart de ceux qui étaient à la Gaîté sont retournés vivre dehors. Certains disent carrément que pour le moment ils n’ont plus de force et veulent se reposer, car ils ont beaucoup lutté à la Gaîté. On dit : « OK, il n’y a pas de problème, tu viendras quand tu le sentiras. » Certains ont encore beaucoup de force. Il y a un peu de tout. On essaie de les écouter, de les comprendre.
Par rapport à la scolarisation, quelles sont vos revendications ?
Le collectif est né en juillet 2023. On a essayé de lutter pour trois choses principales : le logement, l’accès à la santé et la scolarisation. Pour le logement, on a occupé beaucoup de bâtiments et on a gagné beaucoup de choses. La mairie a logé plus de 1 000 jeunes dans les gymnases. Mais si on veut s’intégrer, le plus simple, c’est d’aller à l’école. Le rectorat nous a demandé des choses qu’on ne pouvait pas avoir comme une attestation d’hébergement, une assurance… Heureusement, ils ont un peu allégé leur demande. Maintenant les associations peuvent nous délivrer des attestations d’hébergement, donc on peut faire quelque chose.
C’est bien de parler mais il faut agir. Surtout les élus qui se disent de gauche.
Alhassane
Après, ils nous ont dit qu’il fallait passer par le Casnav [centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés, N.D.L.R.] mais pour ça, il faut avoir un téléphone, internet, il faut savoir lire et écrire… C’est compliqué. Pour tenter sa chance, il faut se lever à 9 heures du matin. Nous, on appelle ça « jouer », parce qu’il faut cliquer. Il y a plus de 300 personnes qui « jouent » en même temps et il y a trois rendez-vous par jour. Il faut être le plus rapide. Et quand tu arrives à prendre un rendez-vous, on te donne dix minutes pour remplir un formulaire. Si tu ne sais pas lire ou écrire, c’est compliqué. Les gens qui ont réussi à avoir le rendez-vous se sont dit « OK, je vais pouvoir aller à l’école ». Mais après ton test, on te dit qu’il n’y a plus de places. C’est décourageant. Alors tu te bats, avec les assos, les syndicats comme SUD Éducation ou la CGT.
Certains d’entre vous ont-ils eu des propositions d’affectation ?
Le rectorat a ouvert des classes comme les MLDS [mission de lutte contre le décrochage scolaire, N.D.L.R.], même si elles ne nous concernent pas, parce qu’on n’est pas en décrochage. Ce sont des classes qui ne sont pas normales, on cherche des enseignants, il n’y a pas d’emploi du temps. C’est juste pour dire « prenez ça », on n’a pas le choix. Il y a aussi des gens qui ne sont pas affectés. Il y a plus de 35 jeunes qui attendent leur affectation. Là aussi, c’est une galère, on ne t’affecte pas dans les filières que tu veux.
Au centre d’information et d’orientation, on a dit à certains « vous avez la capacité d’aller en CAP » et finalement ils se retrouvent en MLDS… et le rectorat te dit que c’est à prendre ou à laisser. Je suis dans la classe MLDS, et c’est horrible. Certains ont seulement deux demi-journées par semaine de cours. On lutte pour aller dans les classes qui nous correspondent. On a aussi demandé l’audience pour ça.
Il faut ajouter quand même que depuis qu’on a été expulsés de la Gaîté lyrique, au lycée Jacques-Decour où je suis scolarisé, les parents d’élèves et les professeurs se sont mobilisés pour nous trouver des solutions car on dormait dehors. Ils ont fait des communiqués et des cagnottes, et depuis on est 12 à peu près à dormir chez des parents d’élèves. Mais ce sont des solutions temporaires, et ce n’est pas censé être leur rôle. On a aussi beaucoup de nos amis qui sont dans d’autres lycées et qui n’ont pas de solutions. On alerte aussi le rectorat et la mairie sur l’arrêt du dispositif lycéen.
Beaucoup de gens à gauche ont un discours utilitariste sur l’immigration en disant que les personnes migrantes sont utiles car elles exercent des métiers que personne ne veut faire. Que pensez-vous de ces discours ?
Ça me saoule quand on dit : « L’immigration, c’est les gens qui nettoient les bureaux et travaillent dans la restauration. » Je prends ça comme une insulte. Comme si on n’avait pas la capacité d’être un vrai journaliste, un vrai docteur. C’est un système fait pour qu’on ne s’en sorte pas. Depuis que je suis là j’essaie de m’informer sur beaucoup de choses mais jamais personne ne m’a dit qu’il y avait un immigré comme moi qui était devenu un vrai journaliste, un vrai docteur, un vrai avocat.
Tout ce que j’entends, c’est : faut aller faire de la maçonnerie, faut aller faire de la boulangerie pour avoir ton contrat de travail, pour que la préfecture délivre un bout de papier d’un an. Il faut que ça change. On peut faire beaucoup d’autres choses. On ne nous donne jamais l’opportunité. Ils fabriquent les sans-papiers. Quand tu dois avoir un contrat de travail pour avoir un titre de séjour d’un an, ça t’empêche de faire des études longues. On doit tout le temps revendiquer nos droits. Quand tu as déjà des droits, il ne faut pas les revendiquer mais quand on n’a rien, il faut lutter, lutter, lutter.
Pourquoi les actes sont plus importants que les paroles, selon vous ?
C’est bien de parler mais il faut agir. Surtout les élus qui se disent de gauche. Il faut qu’ils quittent leur bureau et aillent sur le terrain avec nous. Il faut qu’ils viennent et disent ce qu’ils pensent ouvertement. Eux veulent aller plus loin dans leur carrière mais ce n’est pas ça qui est important. Pour nous, si tu te dis de gauche, que tu es antifasciste, faut venir sur le terrain et que tout le monde sache ta position.
Que les gens dont la voix est entendue dans la société viennent nous aider.
Alhassane
Quand les jeunes ont reçu des OQTF, la préfecture a continué de les intimider. Ils ont eu une assignation à résidence de 30 jours, qui a expiré. La préfecture les a reconvoqués une deuxième fois. Les jeunes avaient peur. À ce moment-là, on a rappelé les élus. Danielle Simonnet, Danièle Obono et Laurent Sorel les ont accompagnés. C’est un acte fort. Ça n’a pas empêché la préfecture de redonner une assignation de 45 jours. Mais c’est un grand pas, il faut continuer comme ça.
Vous appelez les élus à venir aux audiences pour les OQTF au tribunal administratif ?
Il faut qu’on soit le plus nombreux possible dans la salle. On appelle les élus et toutes les personnes qui pèsent un peu sur la société française à venir. Il faut aussi des soutiens pour aller devant le tribunal administratif. Pas pour faire une manifestation, mais pour dire : « On est derrière les jeunes et la police n’a aucun droit de dire qu’ils ne sont pas mineurs. » On a donné les dates : le 23 mai, c’est la première audience avec trois jeunes, et ensuite ce sera tous les mardis. C’est urgent car il y a 24 OQTF toujours en cours. On a un meeting le 27 mai à la Bourse du travail. Que chacun fasse ce qu’il peut de son côté. Que les gens dont la voix est entendue dans la société viennent nous aider. C’est ensemble qu’on peut gagner, c’est ensemble qu’on peut perdre.
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