Macron, Bayrou, Retailleau : des référendums pour un grand flou politique
Le président, le premier ministre et le ministre de l’Intérieur songent à l’utilisation de l’article 11. Un outil démocratique perçu comme une arme constitutionnelle au service des ambitions politiques macronistes.

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Comprendre le RIC des gilets jaunes en une infographie Référendum : la fausse bonne idéeQu’est-ce qu’ils ont tous dans la tête ? François Bayrou, Emmanuel Macron et Bruno Retailleau semblent parler la même langue et partagent une même idée : le référendum. Solution magique pour résoudre tous leurs maux ? C’est le locataire de Matignon qui a commencé le premier. Dans une interview accordée à l’hebdo dominical d’extrême droite, Le Journal du dimanche, le centriste de 73 ans a annoncé le 3 mai vouloir lancer un référendum sur un « plan d’ensemble » pour redresser les finances publiques qui demanderait « des efforts à tout le monde ».
« Je pense que la question est assez grave, assez lourde de conséquences pour l’avenir de la nation pour qu’elle s’adresse directement aux citoyens », explique le patron du Modem. Alors que toutes les oppositions décrivent le chef du gouvernement comme un homme incapable de mener la moindre réforme d’ampleur, totalement enkysté, François Bayrou croit peut-être avoir trouvé la parade pour gravir son « Himalaya budgétaire » et faire taire toutes les critiques à son égard.
Le premier ministre n’y croit même pas. C’est une façon d’occuper le terrain.
É. Coquerel
« Un texte budgétaire ne peut pas se résoudre à ‘oui ou non’. C’est un texte qui nécessite d’être débattu, amendé, modifié et qui, par essence, est un texte parlementaire. L’Assemblée nationale est née, au moment de la Révolution française, sur des questions budgétaires, cela fait partie de ses prérogatives centrales. Cette façon d’imaginer quelque chose qui ne passera pas la rampe du point de vue constitutionnel est incongrue », confie Éric Coquerel, le président insoumis de la commission des Finances. « Le premier ministre n’y croit même pas. C’est une façon d’occuper le terrain et de repousser la logique qui voudrait que l’on dépose une motion de censure s’il utilise le 49.3 »
Erwan Balanant, député Modem, prend la défense du premier ministre : « On est assez surpris que ça étonne un certain nombre de personnes que l’on mette sur la table des sujets vitaux pour la France. La dette est un sujet vital pour les intérêts de notre pays. Que l’on sollicite les Français sur la question, j’avoue que j’ai du mal à trouver ça loufoque. »
Entre Macron et Bayrou, une concurrence au cœur l’exécutif
François Bayrou songe depuis un certain temps vouloir consulter les Français. Dans Le Figaro le 28 février, il affirmait : « J’ai toujours dit que lorsque des questions sont bloquées, lorsqu’il n’y a pas de résolution possible, le référendum est une issue. » Mais la manœuvre politique semble surtout acter la difficulté dans laquelle se trouve ce premier ministre à l’impopularité grandissante, incapable de faire adopter le prochain budget qui prévoit 40 milliards d’économies. En s’appuyant sur la consultation populaire, peut-être espère-t-il échapper à l’enlisement des débats parlementaires ? Encore faut-il que le résultat de ce référendum soit en la faveur du couple exécutif.
La veille de la publication de son interview au JDD, François Bayrou a prévenu, selon L’Opinion, Emmanuel Macron qui s’est empressé d’annoncer, dans Le Parisien, une convention citoyenne sur les « temps de l’enfance ». Les citoyens tirés au sort plancheraient, dans des débats organisés par le Conseil économique, social et environnemental (Cese), sur la réduction des vacances, la place du sport dans la semaine, la durée de la journée des enfants à l’école, l’heure du début des cours au collège…
Une initiative qui permet également au président de reprendre la main sur la politique intérieure et, par la même occasion, de contrer Matignon qui a également saisi le Cese le 1er avril pour l’organisation d’un débat autour de cette question : « Qu’est-ce qu’être Français ? » Faut-il voir dans ces initiatives non concertées une concurrence entre le président et son premier ministre plus qu’une réelle opération politique ?
Paroles en l’air
Le lendemain de l’interview du premier ministre dans le journal de Vincent Bolloré, TF1 annonce une émission en prime time qui sera diffusée le 13 mai, veille de l’audition de François Bayrou par la commission d’enquête parlementaire sur le contrôle des établissements scolaires, où il devra s’expliquer sur Bétharram. Le titre est pompeux : « Emmanuel Macron. Les défis de la France ». Retour à peine masqué du président dans les affaires intérieures après le plantage de sa dissolution de juin dernier. Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, on soupçonne le président de la République de vouloir annoncer des projets de référendums.
Le président voit le référendum comme un objet communicationnel, un élément pour nourrir son récit politique, une idée dans le vent plus qu’un plan politique précis.
Parmi les pistes évoquées, un référendum à questions multiples sur, entre autres, l’organisation territoriale de l’État, la simplification administrative, la fin de vie, le service national universel ou l’usage des écrans chez les jeunes. Pas sur les finances publiques. Emmanuel Macron ne le souhaite pas. Après tout, l’article 11 de la Constitution est une affaire de présidents, pas de premiers ministres. « À peine le premier ministre s’y met que le président s’y remet aussi, mais sur d’autres sujets », grince Charles de Courson, rapporteur général de la commission des Finances.
Utiliser la voie référendaire n’est pas une nouvelle lubie pour Emmanuel Macron. À chaque fois qu’il souhaite lancer une initiative politique, le chef de l’État pense presque instinctivement à cette arme qui peut cependant se retourner contre lui. En juillet 2017 devant le Congrès de Versailles, il ouvre la voie à l’usage de l’article 11 pour réformer en profondeur les institutions de la Ve République.
En décembre 2020, il dit vouloir inscrire la lutte pour le climat dans la Constitution en consultant les Français. En pleine présidentielle 2022, il ne s’oppose pas frontalement à un référendum sur les retraites, lors d’une interview accordée à BFMTV…. Que des paroles en l’air. Le président voit le référendum comme un objet communicationnel, un élément pour nourrir son récit politique, une idée dans le vent plus qu’un plan politique précis.
Grand flou politique
Lors du dernier conseil des ministres, le 7 mai, le sujet du référendum n’a pas été abordé, jure la porte-parole du gouvernement Sophie Primas. « Redresser les finances publiques est une question que le premier ministre veut mettre au centre du débat avec les Français, analyse-t-elle à la sortie du conseil des ministres. Le référendum est une possibilité. Aujourd’hui, les modalités ne sont évidemment pas connues et la position du président de la République nous la connaîtrons tous ensemble lors de son intervention télévisée. »
Est-ce qu’on nous parle des temps de l’enfant ou de l’organisation territoriale ? Tout ça est extrêmement flou.
L. Balage El Mariky
Flou au sommet de l’État ? « On est en pleine foire de Paris, peut-être que c’est d’actualité », ironise la députée Léa Balage El Mariky, porte-parole du groupe Écologiste et social à l’Assemblée. « Est-ce qu’on nous parle des temps de l’enfant ou de l’organisation territoriale ? Tout ça est extrêmement flou. »
Dans un autre ministère, un homme voit dans le référendum un moyen d’exister politiquement. Le 6 mai sur CNews, Bruno Retailleau fait encore la publicité de son idée qu’il porte depuis des semaines : un référendum sur l’immigration. La proposition est partagée à droite et à l’extrême droite. Le champ de l’article 11 restreint néanmoins le référendum aux questions économiques, sociales ou environnementales.
Mais ce n’est pas vraiment un problème pour le « premier flic de France » qui rêve surtout, en saturant l’espace médiatique de propositions radicales, de gagner le congrès des Républicains. « Quand la loi ne protège pas les Français, il faut changer la loi. Sur l’immigration, pour reprendre le contrôle, il faudra une révision de la Constitution qui nous permette de faire un référendum », évacue le ministre. « C’est le concours Lépine des propositions farfelues », balaie la députée Béatrice Bellay, porte-parole du groupe socialiste à l’Assemblée. Le pouvoir est-il définitivement en panne d’idées ?
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