« Oui », de Nadav Lapid (Quinzaine des cinéastes) ; Mon palmarès idéal

Un film-maëlstrom de rupture avec Israël et un rêve de Palme.

Christophe Kantcheff  • 24 mai 2025
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« Oui », de Nadav Lapid (Quinzaine des cinéastes) ; Mon palmarès idéal
"Oui" écarte volontairement les ressorts psychologiques pour s’attaquer à la faillite collective.
© DR

Oui / Nadav Lapid / 2 h 29 / Sortie : 17 septembre.

Nadav Lapid, cinéaste énervé, dégoûté, en rupture avec son pays. On l’avait déjà constaté avec son film précédent, Le genou d’Ahed (2021), charge grinçante contre l’autoritarisme gagnant déjà alors Israël. Les choses sont loin de s’être arrangées, comme l’on sait. Oui est la réponse artistique du cinéaste à la déflagration qui s’est produite à partir des massacres du 7-0ctobre et de la guerre israélienne d’anéantissement menée ensuite contre Gaza. Un maëlstrom cinématographique qui fait tout trembler sur son passage, remue ciel et terre, conteste les logiques admises, et s’insurge contre cet assentiment que Nadav Lapid a choisi pour titre (au lieu du refus du réfractaire, plus attendu) : « oui », mais à quoi ?

Le protagoniste, Y (Ariel Bronx) – même initiale que le héros du genou d’Ahed –, pianiste précaire, et sa femme, Jasmine (Efrat Dor), danseuse, animent des soirées privées. Ils s’entendent à merveille, vivent en musique chez eux, élèvent leur bébé dans l’allégresse. Pour dire à quel point Y vit en apesanteur, cette scène au hasard : il navigue en bicyclette dans les rues (sans doute de Tel Aviv) avec son enfant à qui il souffle à chaque fois qu’ils croisent quelqu’un : « un vieillard bon », « un étudiant bon », « une dame bonne », et ainsi de suite…

Totale abstraction

En même temps, toute l’esthétique du film dénonce l’inconséquence de son personnage. Par la musique tonitruante et entêtante, qui renvoient ses danses joyeuses à des transes de junkie. Surtout par les mouvements saccadés de la caméra, qui n’ont rien d’anarchique, mais prennent l’allure de coups de pinceau, le tout produisant une image déstructurée – à l’instar de la peinture de George Grosz, citée –, et par là-même offrant la représentation d’un pays d’une totale abstraction. « Nos parents nous ont vendu un pays qui n’existe pas », dira Jasmine.

Principal événement du film dans lequel l’intrigue tient pour peu à côté de l’ouragan formel qui ne cesse de s’y renouveler jusqu’à ce que la rupture soit consommée (Nadav Lapid vit désormais en France) :  Y accepte de composer un nouvel hymne national. Une idée que le cinéaste n’a pas inventée mais qu’il a puisée dans la réalité, des consultants en stratégie ayant réellement concocté un hymne de vengeance et de glorification de la destruction de Gaza.

Nadav Lapid ne s’interdit pas non plus des répliques qui ont valeur de punchlines assassines envers les Israéliens.

Y devient donc un collaborateur du régime, mais à sa manière invertébrée de clown irresponsable – Oui écarte volontairement les ressorts psychologiques pour s’attaquer à la faillite collective. « Tu es léger, tu ne pèses rien », lui dit en substance une ancienne amante, Leah (Naama Preis), qu’il a retrouvée alors qu’il est en errance à tous points de vue. Leah, de par son métier, a archivé les vidéos des tueries du 7-Octobre, et fait état à Y des barbaries commises au gré d’une longue litanie tragique. Une séquence suffisamment marquante pour qu’on ne fasse pas le procès au cinéaste de les minorer.

Nadav Lapid répond coup pour coup avec ses armes : il fait entendre des sons pris à Gaza sous les bombes, montre au loin une cité de l’enclave d’où s’échappent de grises fumées mortifères, lâche les chiens de l’imaginaire pour signifier l’état de ruines qui caractérise aussi Israël, ruines morales, décomposition avancée, argent corrupteur… Il ne s’interdit pas non plus des répliques qui ont valeur de punchlines assassines envers les Israéliens. « Vous êtes difficiles à aimer » fait presque figure de doux aveu.

Finalement non retenu dans la compétition – sur le dossier Gaza-Israël, les responsables du festival n’auront décidément répondu à aucun rendez-vous crucial, ce film exceptionnel et inconfortable, qui aurait fait, qui sait, une Palme d’or inouïe, a été accueilli par la Quinzaine des cinéastes. C’est tout à son honneur.


Mon palmarès idéal

Dans quelques heures, le palmarès de cette 78e édition du festival de Cannes sera dévoilé. Comme chaque année, je livre ici mon palmarès idéal (qui n’est pas un pronostic), reprenant des films dont j’ai parlé et quelques autres pour lesquels le temps m’a manqué.

Palme d’or

L’Agent secret, de Kleber Mendonça Filho

Grand prix ex-aequo

Un simple accident, de Jafar Panahi

Jeunes mères, de Jean-Pierre et Luc Dardenne

Prix du scénario

Dossier 137, de Dominik Moll

Prix de la mise en scène

Sirât, d’Oliver Laxe

Prix du jury

Résurrection, de Bi Gan

Prix d’interprétation féminine

Yui Suzuki dans Renoir, de Chie Hayakawa

Prix d’interprétation masculine

Stellan Skarsgård dans Valeur sentimentale, de Joachim Trier

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Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes
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