Finistère : un équipage internationaliste navigue contre l’empire néocolonialiste de Bolloré
Samedi 24 mai, à l’appel des Soulèvements de la Terre et de la coalition Levons les voiles, une armada a pris la mer pour manifester contre le milliardaire et ses visées impérialistes. Reportage parmi les navires, au sein d’une équipée d’activistes internationalistes.

© Pierre-Yves Lerayer
Sous le ciel chargé du Finistère sud, au large de Concarneau, une armada inédite s’élance sous le regard d’un hélicoptère de la gendarmerie. À l’appel des Soulèvements de la Terre et de la coalition Levons les Voiles, une grosse cinquantaine de navires a fendu les flots, samedi 24 mai, pour s’élancer « contre Bolloré et son empire », tant médiatique qu’industriel.
Le rendez-vous, initialement donné sur l’île du Loc’h, dans l’archipel des Glénan et détenue par le milliardaire, a finalement été rendu impossible par la préfecture maritime. Qu’à cela ne tienne, il s’est finalement tenu sur la plage du Cap Coz, à une poignée de kilomètres de Concarneau, en compagnie d’une foule venue spécialement pour accueillir, en chantant, le débarquement antifasciste.
Parmi les navires qui ont fait route commune, quasiment tous ornés de banderoles et de drapeaux colorés, le voilier de plaisance L’Escape arbore sur sa coque de 14 mètres un visage aux allures de Médusa – les serpents remplacés par des filets d’eau colorés qui s’écoulent sous le vent. Au mât, flottent drapeaux et oriflammes aux couleurs de Kanaky, de Palestine ou encore de Syrie : « C’est un bateau internationaliste », présente Némo, le capitaine du jour, par ailleurs marin de marine marchande et chef mécanicien de l’ONG allemande Sea Punks qui vient au secours de personnes en mer Méditerranée.
Nous luttons contre l’accaparement des terres et des moyens de production, et pour la collectivisation.
Jean-Jacques
Empire néocolonial
Aux côtés du marin, une dizaine de personnes s’activent. Certaines sont primo-navigatrices et d’autres plus aguerries pour hisser haut les voiles, qui se gonflent de vent. Toutes représentent divers collectifs internationalistes dont l’idée commune est d’abolir les frontières rendues mortifères, notamment lors de voyages en mer entre l’Afrique et l’Europe. Cette mise en péril étant particulièrement poussée par les activités industrielles de l’empire Bolloré, notamment dans l’Afrique de l’Ouest, chacun des collectifs présents à bord avait une raison de venir témoigner contre le milliardaire breton.
Pour le collectif décolonial juif Tsedek, « la lutte pour les terres est intrinsèquement décoloniale », explique Jean-Jacques, membre depuis le début de l’année. « Nous luttons contre l’accaparement des terres et des moyens de production, et pour la collectivisation », martèle-t-il en dénonçant l’exploitation par Vincent Bolloré de l’huile de palme, des lignes de trains ou encore des ports dans le golfe de Guinée. En étant actionnaire de la holding luxembourgeoise Socfin, qui contrôle près de 390 000 hectares de concessions de palmiers à huile et d’hévéa en Afrique et en Asie, « Bolloré continue de faire exister la Françafrique », déplore l’activiste.
Un constat partagé par le tout jeune réseau internationaliste Les Peuples veulent, lui aussi présent à bord de L’Escape. Aux yeux de la militante franco-chilienne Jul, « on vit un moment de contre-révolution, propulsé par le fascisme et dont Bolloré est une figure emblématique ». Son camarade, Lucas, acquiesce : « Bolloré renforce le pouvoir de l’impérialisme, et pas seulement avec la répression. Il utilise certains mots et affects de nos mouvements révolutionnaires pour les retourner contre nous, comme le font à leur manière Trump et Milei. Ils se disent par exemple contre l’establishment, mais nous savons que c’est une supercherie ».
On vit un moment de contre-révolution, propulsé par le fascisme et dont Bolloré est une figure emblématique.
Jul
40 000 décès en 10 ans
Sur le pont, Léo est membre du réseau Alarmphone depuis 3 ans. Ligne téléphonique d’urgence pour les personnes perdues ou en détresse, le réseau international est composé d’équipes autonomes luttant contre la criminalisation des personnes qui traversent les frontières pour fuir les guerres et le néocolonialisme.
En 2024, près de 2 000 « cas » de personnes en détresse ont été dénombrés, illustre le militant, un masque de poulpe en tricot coloré sur le visage. « Bolloré fait partie des grandes figures du néocolonialisme : il défend ses privilèges en s’installant partout dans le monde sans permettre aux autres de le faire. Il se sent partout chez lui, jusque sur les îles qu’il privatise… »
Lever les voiles vers l’île du Loc’h prend donc tout son sens « pour dénoncer le milliardaire à travers son empire médiatique », poursuit Nemo, le capitaine du jour sur L’Escape. « Les médias du groupe Bolloré criminalisent les personnes qui traversent les frontières en parlant de submersion migratoire, mais je vois surtout la submersion des corps par les eaux », s’alarme-t-il.
En Méditerranée, l’ONG allemande Sea Punks, parmi la quinzaine d’organisations qui officient sur place en allant au secours de personnes en détresse, se donne ainsi pour mission de « limiter les dégâts du néolibéralisme auquel Bolloré participe ». En parallèle, le marin déplore le manque de visibilité sur la réalité du terrain. « Impossible de calculer le nombre de morts en mer », témoigne-t-il, lui qui a vu plusieurs fois des personnes périr dans les eaux méditerranéennes. « Il y a une déshumanisation et une banalisation de ce qu’il se passe », alors qu’en dix ans, les estimations portent à 40 000 vies perdues en Méditerranée.
« Nous devons nous organiser sans l’État »
Sur la plage, après avoir débarqué à l’aide d’une annexe gonflable, les activistes internationalistes ont brandi leur banderole « Abolish Frontex » revendiquant l’abolition de l’agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes. À leur côté, de grandes lettres peintes en blanc sur fond noir matérialisent un imposant « Bolloré, marionnettiste d’un monde fasciste », pendant que les navires patientent en fond de tableau.
Les médias du groupe Bolloré criminalisent les personnes qui traversent les frontières.
Nemo
Alors que la mobilisation dénonce les empires médiatiques et industriels du milliardaire, ainsi que son rôle dans l’exil forcé de populations, l’équipage international entend donc, par sa présence, « élargir la question du fascisme à une autre échelle ». Aux yeux de l’activiste de Sea Punks, « il y a un combat local contre la fascisation de la Bretagne via Bolloré, mais aussi un combat international contre la montée du fascisme ».
Alors que le retour vers le continent se profile, le capitaine peut souffler un peu. Mais la mise en place de moyens techniques pour éviter de transformer la Méditerranée en cimetière continue d’être parsemée de récifs. Par son implication aux côtés des organisations antifascistes lors du week-end Levons les Voiles, l’ONG assume ainsi le message politique qu’elle souhaite porter.
« Chez Sea Punks, on estime que l’État a sa part de responsabilité dans les morts lors des traversées. » Pour l’activiste, inspiré depuis très jeune par l’imaginaire pirate, certaines missions que l’État est supposé assumer doivent être reprises en main par la société civile. « On ne peut pas attendre l’État, nous devons donc nous organisons sans lui et sans attendre. »
Pour aller plus loin…

Les citoyen·nes musulman·es en danger de rejet et d’exclusion

Derrière la loi Duplomb, le lobby antisciences

En Haute-Loire, « la loi Duplomb est une vraie catastrophe pour nos abeilles »
