Loi Duplomb : ces députés bons petits soldats de la FNSEA

Une étude exclusive, réalisée par Politis et Data for Good, montre l’influence majeure de la FNSEA sur les débats de la loi visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». 37% des amendements déposés par les parlementaires hors-NFP sont des demandes directes du puissant syndicat agricole.

Maxime Sirvins  et  Pierre Jequier-Zalc  • 26 mai 2025 abonné·es
Loi Duplomb : ces députés bons petits soldats de la FNSEA
Une étude exclusive, réalisée par Politis et Data for Good, montre l’influence majeure de la FNSEA sur les débats de la loi Duplomb.
© Maxime Sirvins

La FNSEA sera-t-elle, ces prochains jours, le parlementaire masqué ? Tout indique que oui. Alors que les débats sur la proposition de loi visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » s’ouvrent ce lundi 26 mai, le lobbying du syndicat agricole majoritaire pour faire passer cette proposition de loi, qui s’attaque violemment aux normes environnementales, est d’une intensité rare.

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Déjà, à l’origine de celle-ci, il y a Laurent Duplomb, sénateur de droite et… ancien président FNSEA de la chambre d’agriculture de Haute-Loire. Depuis la fin de l’année dernière, celui-ci joue de tout son pouvoir pour que sa proposition de loi, qui comprend notamment de graves reculs pour la protection du vivant, soit rapidement examinée au Palais Bourbon.

Cependant, l’influence du puissant syndicat agricole ne s’arrête pas à une personnalité convaincue. Mais bien à une stratégie de lobbying auprès de parlementaires prêts à accompagner la FNSEA dans sa croisade contre les normes environnementales et sociales, et pour l’agriculture intensive, quoi qu’il en coûte.

Si elles sont souvent critiquées, ces stratégies de lobbying sont rarement précisément décrites. Comment se matérialisent-elles, concrètement ? Politis et l’association Data for Good se sont associées (voir notre encadré méthodologique) pour mettre en évidence leurs ressorts, au niveau législatif. Et les conclusions sont assez effarantes : 37 % des amendements déposés par les parlementaires hors-NFP sont des demandes directes du puissant syndicat agricole.

Maxime Sirvins

Surtout, cela permet de se rendre compte que la droite et les macronistes – qui constituent, très largement, les deux principaux groupes qui ressortent de notre étude – sont la courroie de transmission de ce puissant lobby agricole. Rien de bien étonnant, même si cela permet de dévoiler pleinement la stratégie politique du groupe Ensemble pour la République (EPR).

ZOOM : Notre méthodologie

Comment arrivons-nous à ces données ?

Nous avons obtenu, comme nos confrères de Contexte, l’ensemble des propositions d’amendements du premier syndicat agricole. Concrètement, la FNSEA transmet à de nombreux députés des amendements « clés en main » qu’elle aimerait voir être votés. Grâce à un modèle mis sur pied par l’association Data for Good et Greenlobby, un cabinet qui valorise les solutions écologiques et sociales, nous avons comparé ces « propositions » de la FNSEA à l’ensemble des quelque 3 500 amendements déposés par les parlementaires sur cette proposition de loi.

Nous avons alors décidé de garder les amendements qui sont à plus de 90 % similaires aux propositions de la FNSEA, que ce soit dans l’exposé sommaire (qui reprend bien souvent, mot pour mot, les amendements « clés en main » du premier syndicat agricole) ou dans le corps même de l’amendement.

Si, ces derniers jours, plusieurs parlementaires du groupe ont affirmé être « mal à l’aise » avec cette proposition de loi, dans les faits, leur groupe parlementaire reste l’un des principaux relais politiques de l’agriculture intensive et anti-écologique portée par la FNSEA. En effet, à lui seul, le groupe EPR a déposé 99 amendements parfaitement fidèles aux exigences du premier syndicat agricole.

Aussi, pour pleinement se rendre compte de ce que veulent dire ces chiffres, il faut refaire la genèse de cette proposition de loi, issue du Sénat. Comme expliqué précédemment, c’est le sénateur Laurent Duplomb qui l’a portée au Palais du Luxembourg, début janvier. Au sein de la Chambre haute, elle a été adoptée, sans modification ou presque.

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En d’autres termes, c’est un texte particulièrement dur pour l’environnement – et reprenant nombre de demandes de la FNSEA – qui est arrivé au sein de l’Assemblée nationale. En commission, le texte a été amendé, partiellement, sans que cela ne change drastiquement son esprit.

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Ainsi, les demandes du syndicat dirigé par Arnaud Rousseau sont essentiellement concentrées sur le rétablissement de « l’esprit du texte voté au Sénat ». Ceci explique notamment que près de la moitié des amendements déposés par les parlementaires pour venir en aide à l’agriculture intensive se concentrent sur l’article 5 du texte.

Ensemble pour la République reste l’un des principaux relais politiques de l’agriculture intensive et anti-écologique portée par la FNSEA.

Celui-ci a notamment pour but de faciliter au maximum l’installation de mégabassines pour les agriculteurs. Or, cet article a été retoqué en commission. De quoi ulcérer la FNSEA qui, dans ses éléments de langage, assure que l’article 5 « a pour objectif de faciliter, sous conditions, des ouvrages de stockage dans les zones déficitaires, afin de garantir la durabilité de l’agriculture tout en apportant les conditions d’un partage territorial concerté ».

Des éléments repris, mots pour mots, par certains députés. Outre ce travail de lobbying législatif, le puissant syndicat agricole a également annoncé organiser une manifestation devant le Palais Bourbon mercredi, pendant que le texte devrait être examiné.

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« Devrait » car, malgré tout ce travail de lobbying, la stratégie de la gauche – et notamment des écologistes – de faire durer les débats, et de mettre les macronistes face à leurs contradictions,inquiète la FNSEA et ses alliés au sein du Palais Bourbon. Pris de panique, le rapporteur de la proposition de loi, le LR Julien Dive, va donc proposer aux parlementaires de voter une motion de rejet préalable.

Une manipulation grossière : en votant une telle motion de rejet, le texte ne serait pas examiné et, la version du Sénat – particulièrement dure – passerait alors directement en commission mixte paritaire (CMP), où la discussion se fera « entre sept députés raisonnables et sept sénateurs raisonnables », pour reprendre les termes d’un conseiller macroniste cité par Politico. Autrement dit, dans une commission qui penche sérieusement à droite grâce au Sénat et où, sans possibilité de débat démocratique et publique, la FNSEA pourra tranquillement poursuivre son lobbying. Dans l’intimité de la CMP, cette fois.

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