Prisonniers sahraouis : une marche contre l’oubli

Après un périple encourageant en France, la militante Claude Mangin tente de mobiliser l’opinion en Espagne pour obtenir la libération de trente-deux prisonniers politiques sahraouis, dont son époux, détenus par le Maroc.

Patrick Piro  • 14 mai 2025 abonné·es
Prisonniers sahraouis : une marche contre l’oubli
© Patrick Piro

Laaroussi Abdeljalil, défenseur des droits humains, condamné à la réclusion à perpétuité par la justice marocaine ; Hassan Dah, journaliste, vingt-cinq ans de prison ; Aziz El Wahidi, étudiant, dix ans de prison… Au total, 32 Sahraouis purgent au Maroc des peines de prison pour avoir œuvré en faveur de l’autodétermination du Sahara occidental, un territoire que le Maroc occupe depuis cinquante ans en contravention du droit international.

Les deux tiers d’entre eux ont pris au moins vingt ans, et jusqu’à la perpétuité pour neuf des condamnés. Des détentions qualifiées d’arbitraires par un groupe de travail des Nations unies. En plusieurs occasions, des « aveux » ont été extorqués aux interpellés sous la torture. Pour Rabat, il s’agit de « terroristes » et de « criminels » qui seraient impliqués dans l’assassinat de gendarmes marocains.

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Perpignan, Maison des communistes. Les portraits des 32, tous des hommes, s’étalent le long des murs de galets. « Otages d’une occupation illégale », dénonce une banderole qu’accrochent Limam Edaih Bah et Brahim Laajiel, journalistes d’Équipe Media. Le fondateur de cette agence sahraouie d’information, El Bachir Khadda, affiche lui aussi son visage juvénile au sein de cette impressionnante galerie, condamné à vingt ans de détention.

Et puis il y a Naâma Asfari. Président de la Commission pour la défense des droits de l’homme au Sahara occidental, il purge depuis 2010 une peine de trente ans à la prison de Kenitra, de sinistre réputation. Le 30 mars dernier, Claude Mangin, sa femme, entamait depuis sa ville d’Ivry (Val-de-Marne) une « Marche pour la liberté des prisonniers politiques sahraouis », accompagnée par deux amies ainsi que par les deux journalistes d’Équipe Media. Objectif : rallier Kenitra le 2 juin, en une vingtaine d’étapes destinées à mobiliser les consciences autour du drame vécu par ces prisonniers politiques et par leur peuple, spolié de ses droits.

Après Tours, Bressuire, Poitiers, Angoulême, Bordeaux, Sainte-Foy-la-Grande, Toulouse et Béziers, Perpignan concluait, du 23 au 26 avril, la portion française du périple, avant les étapes espagnoles. « Pari gagné », se félicite la militante bientôt septuagénaire qui déploie depuis plus de trente ans une infatigable activité au service d’une cause sahraouie invisibilisée.

« Nous avons réalisé ce que nous voulions faire ! » Dans les cercles qui ont accueilli la marche – collectifs de défense des droits humains, associations de solidarité, syndicats, mouvements sociaux, partis politiques –, c’est l’aveu récurrent d’une découverte qui a résonné à ses oreilles. « J’ignorais tout ou presque de cette histoire », reconnaissent Louise Didier et Bruno Malinge, qui ont rallié le collectif catalan de soutien à la marche.

100 000 personnes sensibilisées

À chaque étape sont organisés des débats, des projections de films, des rencontres avec des élus et des ateliers d’écriture de lettres aux prisonniers. Jacqueline Fontaine, comarcheuse, lit le nom de chacun d’entre eux. « Ils ne sont plus aussi jeunes et beaux que sur les photos, qui datent d’avant leur incarcération. Dans quel état sont-ils ? Quand ils sont malades, ils reçoivent de l’aspirine… Nous demandons instamment aux autorités françaises et au président Macron de peser de tout leur poids pour obtenir la libération des prisonniers politiques. »

Grâce aux réseaux militants impliqués lors de son passage, Claude Mangin estime que la marche aura sensibilisé quelque 100 000 personnes en France au sort de cette colonie, « la dernière d’Afrique ». Elle aura également offert aux communautés sahraouies de France l’occasion d’apparaître au grand jour – « souvent une première pour elles, d’ordinaire discrètes », souligne la militante. Elles se regroupent majoritairement dans l’Ouest, où nombre de ces réfugié·es ont trouvé du travail dans le maraîchage (Touraine, Charentes, etc.) ou dans les abattoirs, comme à Bressuire, où des jeunes filles sahraouies se sont mises en scène dans une petite vidéo destinée à mobiliser les copines et les copains à la démarche de Claude Mangin.

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L’équipe espère une forte mobilisation pour la suite du parcours : des milliers de familles sahraouies et leurs enfants vivent aujourd’hui en Espagne grâce aux titres d’identité qui leur ont été accordés jusqu’en 1975, tant que le pays exerçait un protectorat sur le Sahara occidental. Chaque année, des dizaines de comités de ­solidarité locaux y accueillent des milliers d’enfants sahraouis pendant les vacances d’été.

« C’est Naâma qui nous donne la force de continuer, plus que le contraire »

Le bout du périple, c’est Algésiras, le 31 mai. La ville espagnole est un port d’embarquement des ferries qui desservent la ville marocaine de Tanger. Objectif : rallier un maximum de personnes disposées à effectuer la traversée avec Claude Mangin et ses deux compagnes pour porter leurs revendications au Maroc. « Notre nombre sera déterminant pour garantir un bon écho médiatique à l’initiative, et il sera délicat pour les autorités marocaines de refouler tout ce monde – à quel titre, d’ailleurs ? », spécule Claude Mangin.

Pour elle, qui ne se fait guère d’illusions sur ses chances de pouvoir débarquer à Tanger, et encore moins d’atteindre Kenitra avec ses banderoles, cette marche porte aussi l’exigence de la justice pour son couple. Elle n’a pu rendre visite à son mari qu’à deux reprises depuis son incarcération. La dernière fois, c’était en 2019. Il lui avait fallu, pour cela, un mois de grève de la faim et l’appui du ministère français des Affaires étrangères.

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Avant son expulsion du pays, pour la cinquième fois. Après avoir engagé un recours administratif auprès des autorités marocaines, elle en a obtenu le motif : elle menacerait « l’ordre public », ainsi que « la sécurité intérieure et extérieure du pays ». En 2023, les Nations unies ont dénoncé l’interdiction subie de facto par Claude Mangin de voir son mari, et exhorté le Maroc à libérer les prisonniers d’opinion sahraouis.

Vendredi 25 avril, 11 heures. Claude guette son téléphone. C’est généralement à cette heure, deux fois par semaine si possible, que Naâma tente de la joindre. Ça sonne. Silence dans la salle. Elle lui donne des nouvelles de l’équipée, de son moral, de ses agacements, des bruissements de la politique – Kenitra est imperméable aux informations extérieures, en dehors de celles que véhicule la télévision officielle. « C’est lui qui nous donne la force de continuer, plus que le contraire, et qui donne du sens de notre action », confesse Mehdy Belabbas, militant écologiste perpignanais.

Nous demandons à Naâma Asfari comment il parvient à tenir. « C’est par la conviction que les obstacles font partie de la quête et que nous pouvons les surmonter. Le plus positif, dans cette marche, ce sont ces rencontres qui permettent de créer des liens, de ville en ville, et de manifester une solidarité avec notre cause, pour nous aider à la sortir de l’oubli. Nous ne sommes plus à l’époque où toutes les causes internationales justes trouvaient un écho intellectuel, politique et médiatique. Mais, en dépit d’un contexte défavorable, nous ne devons jamais rester les bras croisés devant l’absence de justice et de liberté, et où que ce soit, pas seulement pour le peuple sahraoui. »

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