Macron « en colère » : quand les médias adorent le courroux présidentiel
Suite aux fuites sur le rapport concernant les Frères musulmans, le chef de l’État est entré « dans une colère froide ». Un élément de langage transmis volontairement par l’Élysée aux journalistes, et largement repris. L’Élysée aurait tort de changer de stratégie.
dans l’hebdo N° 1864 Acheter ce numéro

Le président n’était « pas du tout content » (BFMTV) de voir que le rapport secret sur les Frères musulmans a fuité. Il a donc été « glacial » avec ses ministres, rapporte une source à Libération. « Assez raide » lors de son conseil de défense, selon le Parisien. « Extrêmement remonté », paraphrase LCI. Il a soumis ses troupes à un « recadrage sévère » (TF1, matinale Bonjour !) ou – autre version – à un « sévère recadrage » (LCI). Il a passé un « sacré coup de gueule » (BFMTV). Il était « assez sombre », « agacé » (RTL). Bref, Emmanuel Macron était « en colère » (Libé), il a « manifesté une certaine colère » (France Info), on peut même dire qu’il a fait une « grosse colère » (LCI). En fait, il était carrément dans une « colère froide ».
« Colère froide. » L’expression est revenue à la pelle, dans les médias, et surtout à la télévision. Sur LCI, dans la bouche de Christophe Barbier sur C dans l’air (France 5), dans celle de Sonia Mabrouk sur CNews (elle répète l’expression deux fois), ou encore dans la matinale Bonjour ! de TF1. La répétition n’a pas échappé aux équipes de Quotidien. Yann Barthès en a fait tout une séquence, en rappelant que « la particularité d’une colère froide, c’est qu’elle ne se voit pas ».
Une ‘colère froide‘ : ça en jette. Ça fait patriarche. Ça fait vivant, engagé, investi. Ça fait ‘autorité’, mais pas ‘autoritaire’.
C’est « une colère contenue, sans manifestation gestuelle ni verbale ». Elle est précisément l’inverse d’une colère noire : celle où l’on s’énerve fort, où l’on « casse des assiettes » (comme le fait réellement Yann Barthès sur le plateau, pour accentuer son ironie – on est à la télé, ne l’oublions pas). Il n’y a donc qu’une solution pour que cette « colère froide » se soit manifestée au point de finir dans une brochette de médias : qu’elle soit un élément de langage transmis volontairement par l’Élysée aux journalistes.
L’image de l’homme en costume, aux manettes du pays, tout juste sorti du sommet « Choose France » où il a rencontré des « patrons » du monde entier (son moment préféré de l’année, autre superbe occasion de com’, comme nous vous le racontions) ; cet homme-là, qui se met dans une « colère froide » : ça en jette. Ça fait patriarche. Ça fait vivant, engagé, investi. Ça fait « autorité », mais pas « autoritaire ». C’est l’inverse de l’hystérie (typiquement féminine), la « colère froide » : c’est la maîtrise malgré la gravité. C’est la déception du roi face à son royaume, qui se contient et ne laisse transparaître que les signaux essentiels du courroux. La juste peine, appliquée avec pouvoir. C’est Jupiter.
Jupiter, le Dieu aux foudres colériques auquel les médias adorent comparer Emmanuel Macron. Le Point n’a pas hésité à titrer un article (retitré depuis – il faut comparer l’URL et le titre final) « Quand notre «Jupiter» dégaine la foudre ». C’était il y a un an, pour parler de la dissolution. Quant à nous, on vous dressait déjà le même tableau… en 2022. « Les «colères» présidentielles, marronnier médiatique comme les autres », était alors sous-titré un article de Pauline Bock. Face aux coupures d’électricité post-guerre en Ukraine, Emmanuel Macron était « sorti de ses gonds » (France Info). Face à l’affaire Benalla, il était « furieux » (Europe 1). Après le grand débat en 2019, il s’était mis dans « une grosse colère » (le JDD), entre moult autres exemples. On dit qu’en conseil des ministres, la « foudre jupitérienne » s’abat depuis le début de ses mandats (le Parisien).
Ces épisodes de furaxerie tombent toujours lorsque cela pourrait arranger le pouvoir de détourner le regard.
N’y a-t-il pas un point commun à tous ces épisodes de furaxerie ? Ils ne correspondent pas aux sorties de piste aléatoires d’un homme au sang chaud, capable de vriller sur n’importe quel sujet. Non. Ils tombent toujours lorsque cela pourrait arranger le pouvoir de détourner le regard. De se concentrer sur une bisbille émotionnelle ou interpersonnelle plutôt que le fond d’un problème. « L’émotion fait écran par rapport à l’idée que [le président] est partie comptable de la situation qu’il dénonce », nous répondait Thierry Devars, maître de conférences, spécialiste en communication politique, en 2022. L’Élysée a raison de ne pas changer de stratégie. Les médias, à l’affût des émotions présidentielles mais à la traîne sur la réflexion politique, ne l’ont toujours pas compris.
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